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Accelerando

samedi 9 mai 2015, par von Bek

Charles STROSS (1964-)

Grande-Bretagne, 2005

Editions Piranha, coll. "Incertain futur", 559 p.

L’ambition d’Accelerando de Charles Stross m’a fait prendre conscience d’un fait au regard de la littérature de science-fiction, c’est que bien souvent si celle-ci extrapole sur les progrès de la technologie humaine, elle se concentre cependant sur un thème au cœur d’un roman. Par exemple un roman sur la conquête spatiale va imaginer un mode de transport adéquat pour faire franchir les distances mais évacuer le problème des ordinateurs nécessaires à l’opération en postulant juste leur existence ; un autre s’intéressant au contact avec les extra-terrestre se penchera sur celui-ci mais restera vague quant à la machine qui permettra de l’établir. Le roman Contact, quoiqu’excellent au demeurant, en est pour moi un bon exemple : Carl Sagan focalise sur le contact extraterrestre et bien que faisant du plan de la machine de transport un ressort du récit, il ne cherche pas à expliquer son mécanisme ou alors seulement vaguement.

Rien de cela dans Accelerando. Stross y développe tout azimut ses spéculations quant aux évolutions de l’humanité. Par son personnage de Manfred Macx, génie de son état, courtier en idées technologiques et en rupture de ban fiscal, Stross projette une désincarnation de l’humain devenu intelligence électronique avec toutes les potentialités que l’on (enfin surtout l’auteur) peut imaginer notamment une démultiplication virtuelle permettant à l’homme de devenir multi-tâches, la femme l’étant déjà. Comme Stross imagine en plus l’évolution des biotechnologies - ses personnages sont connectés en permanence et leurs cerveaux sont reliés à des extensions - la réincarnation est aussi une possibilité.

Vient ensuite la conquête spatiale qui est le fait d’Amber, la fille de Macx. Devenue souveraine d’un satellite de Saturne, elle expédie une de ses répliques virtuelles à la rencontre d’un contact SETI. En parallèle, l’économie n’a cessé d’évoluer, parfois trop vite pour les Macx qui de pilotes en subissent ensuite les conséquences et Amber 2.0 connaît quelques déboires à son retour et se découvre un fils Sirhan.

La troisième génération de Macx est des plus intéressante parce qu’elle montre que Stross s’est non seulement penché sur l’évolution de l’humanité, mais qu’il s’est aussi interrogé sur la dimension éthique et philosophique de celle-ci. L’historien Sirhan est l’incarnation de ce questionnement avec sa grand-mère. Face à une humanité virtuellement immortelle, n’y a-t-il pas un devoir de mourir qui s’impose pour laisser la place à d’autres générations ne serait-ce que dans l’optique de développer de nouvelles innovations grâce à de nouveaux points de vue.

Accelerando a tout pour devenir LE livre de science-fiction et il n’y a guère que le voyage dans le temps - mais pas le regard sur le temps - qui échappe à son ambition. Les lecteurs de la prestigieuse revue Locus l’ont consacré meilleur livre de SF de l’année et c’est indéniablement un livre très intelligent qui fourmille de créativité quant à la singularité, cette évolution exponentielle du progrès humain, l’humanité se dépassant elle-même vers le transhumain. D’où le titre Accelerando. C’est génial. Sauf que...

Sauf que c’est indigeste et ce en dépit du soin pris par l’auteur à développer des personnages profondément humains avec une touche d’humour. Outre une épaisseur confortable et normalement pas rédhibitoire, le roman a pour particularité d’être, pardonnez moi le mot, jargonneux. Un exemple pris au hasard : « Les langoustes ne sont pas ces intelligences élancées et hautement super humaines de la mythologie pré-singularité [...] Assez nul comme préparation pour affronter un monde envahi d’anthropoïdes parlants déroutés par le choc du futur, un monde où vous êtes constamment assailli par des spamlettes auto-reconfigurables qui s’introduisent à travers les mailles de votre pare-feu et émettent un blizzard d’animations de pâtées pour chat exhibant une pléiade de charmantes petits animaux comestibles » [1]. A la lecture, je me dis que la dimension animalières ajoute une touche comique obscurcie par le jargon technique. Comme le livre restitue en grande partie les pensées et actes de génies au minimum geek, sans doute fallait-il donner une touche d’originalité. Mais quand même... Non sans ironie, c’est quand Manfred Macx ne comprend pas le discours de théorie économique de son interlocuteur (p.82) que j’ai le mieux compris. Etalez cela sur 500 et quelques pages et vous frôlez l’indigestion. Est-ce pour cela que le roman n’a pas été traduit avant ? Remercions en tout cas les toutes jeunes éditions Piranha d’avoir enrichit le livre d’un glossaire bien utile et très instructif avec un système de renvoi par astérisques. Sauf que...

Sauf que, outre le fait que quelques (rares) termes accompagnés d’astérisques ne sont pas dans le glossaire [2], la fréquence du besoin de consulter celui-ci rend rapidement la lecture d’Accelerando un tantinet fatigante compte tenu de l’épaisseur de l’objet. Qui plus est la couverture semi-rigide s’abîme vite à ce rythme, notamment aux angles, et les bords en sont rendus un peu coupant par sa finesse. Fine et rigide : deux caractéristiques peu appréciables ensemble pour la couverture d’un livre.

Ces deux points tempèrent l’enthousiasme initial qui anime l’acheteur du livre qu’il a chèrement acquis (23,90 €) et ce malgré l’idée géniale de l’éditeur d’adjoindre sur l’intérieur de la couverture un très précieux schéma sur la singularité dans les romans de SF, une mine d’idées de lecture.


[1p.36

[2Je m’en veux de ne pas les avoir relevées...

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