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Le dernier soleil

dimanche 9 février 2020, par Maestro

Stéphane JOURAT (1924-1995)

Belgique, 1968

Plon, 249 p.

Le Dernier soleil fait partie de ces romans qui, à l’instar de La Troisième Guerre mondiale de John Hackett en 1979 , ont tenté d’imaginer la concrétisation, durant le quasi demi-siècle de la guerre froide, d’un affrontement effectif entre Etats-Unis et URSS. Comme souvent dans ce genre d’exercices, Stéphane Jourat livre d’abord, dans le premier tiers de son livre, un exposé tenant davantage de l’essai que du roman proprement dit. C’est en effet l’enchaînement des faits qui est ici exposé, dans toute sa crudité.

Tout débute par l’armistice de 1971 mettant fin à la guerre du Vietnam, traumatisme profond pour l’Amérique. Fragilisé, en proie à une crise économique du fait de la clôture du marché de la guerre, le pays voit ressurgir les affrontements entre blancs et noirs, ces derniers se sentant plus sûrs d’eux-mêmes suite à leur engagement dans le conflit asiatique. Les événements débouchent sur une quasi guerre civile, avec des émeutes de Watts supérieures à celles de 1965, suscitant, de par la décision du gouverneur de Californie – une sorte de Reagan hard – de bombarder le quartier avec des gaz et du LSD (écho des expériences menées à son sujet par l’armée américaine), un bilan humain effroyable et la transformation de Watts en camp de concentration, ghetto au sens premier du terme. La situation dépasse rapidement les limites du système politique étatsunien, et conduit à l’élection du dit gouverneur de Californie aussitôt assassiné, son vice-président, un ancien militaire, devenant le quasi dictateur du pays, soutenu par le fameux complexe militaro-industriel contre lequel Eisenhower avait mis en garde.

On assiste ici à la fascisation des Etats-Unis, un spectre bien réel de l’époque (sensible en décalé dans les Watchmen d’Alan Moore). On ne peut à cet égard dénier à Stéphane Jourat une certaine prescience, limitée mais réelle, qui s’avère moins aiguë dans le tableau de la suite des événements. Le monde entier, confronté à une récession, voit en effet la Grèce revenir à une situation de guerre civile, telle qu’elle l’avait connu au sortir de la Seconde Guerre mondiale. L’URSS, qui connaît aussi en parallèle un durcissement militariste de son pouvoir dirigeant, suit ainsi les Etats-Unis dans un interventionnisme débouchant sur la tant redoutée Troisième Guerre mondiale. Le danger de conflagration généralisé semble pourtant écarté grâce à la mobilisation de la jeunesse, multipliant désertion et opposition à la guerre ; là encore, Stéphane Jourat, pour un roman paru en 1968, avant les événements de mai qui plus est, ressent bien un état d’esprit de toute une époque. Mais finalement, la Troisième Guerre mondiale, atomique et bactériologique, a bien lieu.

Ce qui débouche sur la seconde partie du livre, le journal d’un des survivants de la catastrophe, échoué dans le sud de la France avec un petit groupe de ses semblables. Outre les difficultés de la survie, et les relations souvent conflictuelles avec d’autres communautés humaines, le récit insiste sur l’aveuglement des individus face au gouvernement des experts et des politiciens, et sur la perte de l’authentique. Plus original, Stéphane Jourat, avant un Robert Silverberg (dans L’Etoile des gitans), valorise le mode de vie des gitans, opposé à cette modernité qu’il conspue. Le narrateur oppose ainsi l’effort et le confort, voue aux gémonies la société du spectacle et la société marchande, mettant ainsi le doigt, une fois encore, sur ce qui allait caractériser l’état d’esprit des années 1968, un état d’esprit révolutionnaire, enclin à l’autonomie et à l’émancipation, mais rural et antiproductiviste, le résultat post-apocalyptique et néo-féodal étant l’envers sombre de ce qu’il aurait fallu faire, en opposition à cette vie moderne (l’écrit s’oppose ici au téléphone et à sa communication artificielle) dont le débouché logique était la destruction technologique.

Les espoirs révolutionnaires décrits à plusieurs reprises dans le roman, en URSS (avec une résurrection de la révolte libertaire de Makhno), en Italie ou ailleurs, ne font pas le poids face à l’écrasant potentiel de destruction des puissances, faisant de Le Dernier soleil le représentant de cette science-fiction lucide mais pessimiste qui allait rayonner durant la décennie 70 en France. C’est d’autant plus notable que le roman est paru dans les tous premiers mois de 1968, écrit donc l’année précédente… Stéphane Jourat incarne ainsi à merveille ce rôle de caisse de résonance qu’endossent souvent les écrivains.

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