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Demain et le jour d’après
dimanche 7 novembre 2021, par
Tom SWETERLITSCH
Etats-Unis, 2014, Tomorrow and Tomorrow
Albin Michel Imaginaire, 2021, 412 p.
Quand un attentat à l’arme nucléaire a anéanti Pittsburgh, James Blaxton a perdu sa femme et leur enfant à naître. Il ne vit plus : il survit en se noyant dans l’Archive, collection de toutes les vidéos de la Ville, grâce à son neurospam. Son métier d’enquêteur de l’Archive pour une société généralement engagée par les compagnies d’assurances lui donne une bonne justification pour hanter cette réalité virtuelle d’une ville disparue, mais son usage de la drogue pour l’aider à donner plus de réalité à l’image de sa femme et sa dépression l’empêchent de bien faire son travail en dépit de sa psychothérapie et de sa compétence. La drogue cause son renvoi alors qu’il enquête sur une affaire de meurtre ; sa compétence le fait engager par le richissime Waverly pour retrouver ce qui est advenu de sa fille Albion, disparue dans la catastrophe. En la recherchant, Blaxton croise dans la Ville l’énigmatique Mook qui le menace d’effacer sa femme de l’Archive s’il n’abandonne pas son nouveau travail.
Fort du succès mérité de Terminus, Albin Michel Imaginaire a donc à nouveau misé sur Tom Sweterlitsch avec son premier roman et justement je dirais que Demain et le jour d’après a des défauts des premiers romans de SF.
A commencer par le fait qu’il fait feu de tout bois et multiplie les genres. Il dote son œuvre d’une fondation forte, marquante, qui aurait eu de quoi, et a déjà l’occasion, de nourrir toute une histoire. Pourtant l’attentat à la bombe nucléaire n’est pas plus utilisé que cela : son résultat est essentiel au récit, mais son exécution, que Tom Sweterlitsch prend quand même soin de décrire mais sans en retracer l’origine, se révèle anecdotique.
L’aspect policier occupe une place beaucoup plus importante, mais l’enquête n’est absolument pas palpitante en dépit de ses ressorts sordides et sanglants généralement aguichant pour le lecteur. Blaxton se retrouve confronté à un serial killer dont on peut s’inquiéter que son activité n’ait pas plus que cela attiré l’attention de la police en dépit de la tentative d’explication qu’imagine l’auteur. Blaxton trouve des réponses avec une facilité pour le moins déconcertante et ses hypothèses se vérifient trop facilement. Le dénouement ne tient pas la route.
Reste ce qui à mon sens est en fait le cœur du roman et qui en occupe de longs, trop longs, passages : le deuil. Demain et le jour d’après est avant tout un roman sur la nécessité de faire son deuil et les tribulations, plus ou moins volontaires, du héros vont le mener à cette étape finale, contraint et forcé. Cela passe par de longues évocations de scènes de la vie quotidienne du couple Blaxton ou de non moins longues descriptions de Pittsburgh qui risquent de laisser sur le côté les lecteurs hexagonaux, cette ville n’étant pas franchement la première destination touristique étatsunienne de ceux-ci, en dépit de sa qualité de vie célébrée au début de la deuxième décennie du XXIème siècle. Tom Sweterlitsch a par ailleurs multiplié à l’extrême les références culturelles dont l’absence de notes de bas de page de l’éditeur laisse le lecteur dans l’ignorance quant à leur caractère imaginaire ou réel [1].
Je pourrais m’arrêter là en concluant qu’il s’agit d’un roman qui marie mal le romantisme au thriller, ne réussissant aucun des deux. Ce serait lui faire un mauvais procès, car il demeure un aspect plus réussi, celui du cyberpunk.
Tom Sweterlitsch ne s’est pas contenté d’imaginer des appareils - les neurospam - greffés sur les humains et leur permettant de visiter en permanence le monde virtuel ou de superposer à la réalité des informations issues de ce monde via des rétines ophtalmiques. Ainsi, quand il contemple une scène de la vie réelle, Blaxton voit surgir des informations tirées des sites en lignes, des publicités sur les magasins près desquels il passe. Il imagine aussi l’Internet de l’avenir, un Internet qui illustre les travers de notre Internet actuel. Faute de s’offrir des connexions adéquates trop chères, la vie de Blaxton est polluée de publicités ou de spams, souvent pornographiques, dont certaines mettent en scène la présidente Meecham, une ancienne miss, se livrant à quelques turpitudes.
En fait il n’est pas que la réalité virtuelle qui penche vers la dystopie. L’Amérique de Blaxton oscille dans un équilibre paradoxal du libéralisme commercial et de la morale populiste, entre le voyeurisme et le puritanisme religieux, satisfaits l’un comme l’autre dans des émissions de télé-réalité sordides, excusez le pléonasme, ou la diffusion en live d’exécutions de condamnés desquels on sollicite au préalable un signe de contrition. En ce sens, ce que décrit Sweterlitsch, c’est le peuple auquel on donne pour le satisfaire du pain et des jeux. Ce n ’est pas franchement nouveau dans la science-fiction, mais il le fait à sa manière et, malheureusement, elle n’apparaît pas si improbable que cela...
[1] Or certaines le sont indubitablement.