Le Chaos sans visage

Dumè ANTONI

France, 2016

Black Coat Press, collection Rivière blanche, Série blanche, 420 pages.

Dumè Antoni est un nouveau venu dans l’univers en expansion de la Rivière blanche. Son roman ne manque cependant pas d’ambition, aussi bien qualitative que quantitative, pour une première tentative publiée.

Deux lignes narratives alternent. L’une, en caractères normaux, et au style strictement descriptif, prend place au début des années 1970, en Corse (l’auteur en est lui-même originaire). Lors d’une de ses sorties professionnelles en mer, Ange-Mathieu Tramonti, pêcheur un peu rustre, fait la rencontre d’un humanoïde au visage lisse. Retrouvé inconscient sur son embarcation, elle-même échouée sur la grève, il est pris en charge par le docteur Corti, qui repère une tumeur d’origine inconnue dans son cerveau. Le comportement d’Ange-Mathieu est également différent, faisant penser à son épouse qu’il ne s’agit plus du même homme. Le plus inquiétant, c’est que ces stigmates semblent être contagieux, au point d’inquiéter les autorités qui décident de mener une lutte secrète contre ce danger apparent.

L’autre ligne narrative, présentée en italique, est d’apparence plus baroque. Elle met en scène une figure d’empereur, dans un cadre évoquant la Chine classique, mais enrichie d’éléments scientifiques ou carrément fantastiques ; dans cet univers, la population a été ensemencée par une autre espèce, générant une forme hybride et une interrogation sur la réalité. L’héritier de l’empereur finira par se rendre dans notre monde, par curiosité pour cet autre univers qu’il n’éprouvait qu’en rêve. En plus de ces deux séries de chapitres, des documents sont également livrés par extraits entre chacun d’eux : de curieuses « Instructions intemporelles de Tianzi » et les confessions d’un militaire diagnostiqué schizophrène et interné.

De prime abord, on aurait tendance à rapprocher Le Chaos sans visage de L’Invasion silencieuse de Gilles Morris, également chez Rivière blanche, ou, plus ancien et connu, de L’Invasion des profanateurs. Mais en réalité, Dumè Antoni cultive une ambiguïté qui fait beaucoup dans l’intérêt de son roman. Le lecteur apprend en effet que les soi-disant envahisseurs ne le sont peut-être pas autant que les humains « normaux », et qu’ils subissent leur sort plus qu’ils n’en sont les acteurs volontaires. Car derrière cette histoire de SF traditionnelle, évoquant par certains aspects les théories des « Anciens astronautes », l’auteur a mis en place tout un univers de Terres parallèles, schéma à l’appui, sous influence forte du néo-platonisme avec ses multiples niveaux de réalité, la sortie de la fameuse caverne et la possibilité de se rapprocher peu à peu du principe divin.

Il n’est pas toujours facile de comprendre où Dumè Antoni mène son lecteur, car se croisent nombre de thèmes, voyage temporel, réalités parallèles, réincarnation, etc… Sans doute son roman est-il également un peu trop long, mais il n’empêche, pour un coup d’essai, c’en est un de particulièrement prometteur.