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Paradis, Purgatoire et Enfer

L’inSFernale comédie

2000, par von Bek

Mike RESNICK (1942-)

Etats-Unis, 1989-1993

Denoël, coll. Présence du futur

Fasciné par l’Afrique, Mike Resnick entreprend d’en retracer des portraits au travers du devenir de trois planètes en proie aux convoitises de la gigantesque République galactique, formée de 40 000 mondes. S’inspirant de Dante, il l’a baptisé L’Infernale comédie : chronique de trois planètes lointaines. Chacun des trois livres s’ouvre sur un avertissement selon lequel ce roman parle d’une planète imaginaire et non d’un pays bien réel. L’avertissement contient à chaque fois de la vieille fable africaine, digne de La Fontaine, du scorpion et du crocodile. Fataliste au possible, elle résonne comme la sentence dantesque inscrite sur la porte de l’enfer : « Vous qui entrez ici, abandonnez tout espoir ».

Paradis : La première étape de ces chroniques est la planète Peponi, allégorie du Kenya, en swahili, principal dialecte du Kenya, Peponi signifiant paradis. Au travers des travaux de recherches menés par Mathew Breen, d’abord sur les cuirassés, mastodontes pépons dont la pierre oculaire est précieuse, le lecteur est doucement introduit dans l’histoire de la planète, des débuts de la colonisation par l’Homme, à l’indépendance, histoire parallèle en tout point à celle du Kenya, les autochtones, appelés ouïes-bleues par les hommes, se substituant aux populations indigènes kenyanes.

A tout point de vue, Peponi est une transposition du Kenya : sa faune, sa flore, le tribalisme et ses problèmes... Tandis qu’au fil des années, Mathew Breen se passionne et se spécialise dans l’étude de la planète Peponi, toute l’histoire de celle-ci est restituée, fidèle à celle du Kenya : ainsi la révolte des Mau-Mau (1952-1956) devient celle des Kalakalas, prélude à l’indépendance ; le leader de celle-ci, Jomo Kenyatta devient Buko Pepon et sans doute Nathan Kibi Tonka représente-il Daniel arap Moi, président dans les années 1980.

Purgatoire nous emmène sur la planète Karamon où la résistance à la colonisation humaine s’avère plus ferme sous la direction du roi Jalanopi. Celui-ci, face à la rouerie de Violette Jardinier qui joue sur les rivalités tribales, ne parvient pas à empêcher l’établissement de la domination humaine sur la planète. Baptisée Rocaille par les humains qui y habitent, la planète Karamon devient le théâtre d’une guerre tandis que le gouvernement humain est mis au ban de la République. Contraints de céder devant les oppositions du gouvernement républicain, les humains abandonnent progressivement le pouvoir, puis la planète devant l’insécurité générée encore une fois par les rivalités tribales. Ayant perdu les seules personnes détenant les connaissances techniques et scientifiques, Karamon sombre dans le marasme tandis que les équipements modernes s’arrêtent les uns après les autres.

Avec Purgatoire, Mike Resnick reconstitue l’histoire du Zimbabwe, dont la colonisation est issue de l’initiative privée de Cecil Rhodes, incarné par Violette Jardinier dans le roman. L’absence de personnage central au roman, à l’image de Mathew Breen dans Paradis, prétexte à la narration de l’histoire, ne nuit pas au fil du récit : dans Purgatoire, la planète est réellement l’héroïne.

Enfer est naturellement le roman le plus sanglant retraçant en cela l’histoire de l’Ouganda. Le service de cartographie de la République galactique, sous la direction d’Arthur Cartright, espère faire accéder la population de la planète Faligor aux bienfaits de la civilisation humaine en lui épargnant les méfaits de la colonisation. Ici, pas d’humain impérialiste mais juste des hommes désireux de trop bien faire et trop pressés, tout comme les dirigeants de Faligor. La planète devient l’enjeu d’une lutte pour le pouvoir entre des Faligoriens, tous plus dictatoriaux et sanguinaires les uns que les autres, à l’image d’Idi Amin Dada qui gouverna l’Ouganda de 1971 à 1979.

Encore une fois le parallèle entre Faligor et l’Ouganda est scrupuleusement respecté : Milton Obote devient William Barioke, Idi Amin Dada s’appelle Gama Labu et Yoweri Museveni, James Krakanna ; l’intervention tanzanienne devient une guerre interplanétaire ; les Indiens, appelés par les Britanniques pour développer l’économie ougandaise, sont interprétés par une race E.T. très laborieuse, les taupes ; les fléaux s’abattent sur la planète sous la forme de la guerre, du génocide et de l’épidémie, synthèse du S.I.D.A. et de l’ébola. Encore une fois, les luttes tribales contribuent au déchaînement de la violence. Paradoxalement, Enfer s’achève sur une note d’optimisme avec l’arrivée au pouvoir de Krakanna qui entreprend de reconstruire le pays.

Bref, il est clair que l’intérêt de L’Infernale comédie ne réside pas dans l’imagination, mais bien dans la synthèse et la reconstitution historique. On peut néanmoins s’interroger sur cette perception fataliste et neutraliste du rôle de l’humain - homme blanc dans les bouleversements vécus dans ces livres. Cette perception des événements peut déranger le lecteur soucieux de justice et désireux de voir le colonisateur réparer le mal qu’il a accompli, mais ces chroniques sont débarrassées de toute naïveté. L’auteur de Santiago se penche sur ces problèmes avec un regard réaliste mais très occidental, notamment en ce qui concerne le tribalisme africain, ... pardon, E.T. Sans jamais donc vitupérer sur les méfaits de la colonisation - celle-ci étant sans doute capable de se déconsidérer toute seule -, c’est avec un certain fatalisme, requis par les faits, que Mike Resnick dépeint avec clairvoyance et concision l’histoire de Peponi-Kenya, de Karamon-Zimbabwe ou de Faligor-Ouganda, de l’aube de la colonisation au crépuscule des temps modernes, sans jamais ennuyer le lecteur, ni s’apitoyer abusivement. Et la réalité devint science-fiction... mais peut-on vraiment parler de SF dans le cas de L’Infernale comédie ?

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