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Par tous les temps
dimanche 29 septembre 2019, par
Colette FAYARD (1938-)
France, 1990
Denoël, coll. "Présence du futur", 1996, 336 p.
Colette Fayard est un météore qui a traversé le firmament de la science-fiction française dans la seconde moitié des années 1980, avant de s’éclipser, victime sans doute d’un contexte de crise éditoriale. Remarquée dans l’anthologie de Philippe Curval Superfuturs, dont elle signe ce qui en reste sans doute la meilleure nouvelle (le poignant « L’anniversaire »), elle produisit par la suite en Présence du futur deux recueils de nouvelles et un roman, Par tous les temps.
Comme son titre le sous-entend, il s’agit d’une variation sur les voyages temporels et les modifications qu’ils autorisent. Au XXIXe siècle, l’humanité semble avoir trouvé un équilibre civilisationnel, au prix d’un certain ennui. Un des responsables des incursions encadrées dans le temps, John Ase, a alors l’idée de faire refleurir le futur en soufflant sur la vie de certains personnages célèbres afin de réconcilier art et révolution, d’abord Saint-Just, puis Arthur Rimbaud (une proximité d’ailleurs plus récemment étudiée par Frédéric Thomas). Pour ce dernier, l’objectif est carrément d’incorporer dans son corps l’esprit d’un condamné à mort du XXIXe siècle, véritable baroudeur à la vie haute en couleurs. Il faut dire qu’ici, le vrai Rimbaud est un écrivain plutôt conformiste, à l’itinéraire plat et à la reconnaissance académique tout ce qu’il y a de plus conventionnel. C’est cette greffe laborieuse, heurtée, qui mène à notre propre réalité, une greffe finalement sans retour possible, puisque l’esprit du Rimbaud initial finit par succomber au sein de l’ordinateur aquatique et biologique dont il était l’hôte, laissant son remplaçant échoué en plein XIXe siècle. Le style de Colette Fayard colle à cette histoire, haché, fait de phrases courtes, voire très courtes, de fulgurances qui sont autant d’éclairs révélant l’état d’esprit des personnages, leur for intérieur, tant ce roman est introspectif, au risque parfois de privilégier la forme sur le fond de manière dangereusement autonome [1].
Néanmoins, au-delà d’un individualisme que l’on pourrait se laisser aller à diagnostiquer comme étant typiquement de son époque, le propos de Par tous les temps peut être lu comme une ode à l’audace, à l’esprit d’aventure, à un monde plus poétique que celui tristement réaliste et utilitariste des années 80. L’avenir qu’ouvre ce Rimbaud que nous connaissons bien -et sur lequel Colette Fayard s’est visiblement beaucoup documenté- n’est rien moins qu’une planète vivant sous la bienveillante protection d’un islam socialiste libertaire, une audace qui n’a rien perdu de son caractère explosif ! Peut-être doit-on y voir une volonté d’être à rebrousse-poil d’une époque qui commençait à manifester sa méfiance à l’égard de la religion musulmane, au risque de valoriser à l’excès sa légende dorée.
[1] Un long exemple suffira à expliciter ce constat : « Il reste l’extase du qigong. Plongée dans la béance. Le néant éprouvé, plus de moi, plus d’espace, et pourtant le vécu de ça, vécu du rien, du plus rien et du pas encore, bardo tödol sans musique et sans corridor. Moi dans le caillot du temps, univers mon amour, le sang a coulé noir à ton flanc souverain, figement parfait du souffle, un pur cristal d’inanition, le retrouver, lui, toi, je bande de soif de toi, j’ai commencé, j’achève, je viens. L’attente de l’ami. Chaleur de sa détresse. Son cri », p. 268.