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Les producteurs

samedi 12 septembre 2015, par Maestro

Antoine BELLO (1970-)

France, 2015

Gallimard, 528 p.

Antoine Bello s’était fait remarquer des lecteurs de l’imaginaire avec deux romans, Les Falsificateurs et Les Eclaireurs, qui constituent les deux premiers volets de ce qui est désormais une trilogie. Il faut dire que son Consortium de falsification du réel (CFR) réactivait le thème de la société secrète avec brio, questionnant la réalité à travers une forme fictionnelle de storytelling. Ce troisième épisode, écrit six ans après le précédent, renoue avec des forces et des faiblesses globalement identiques.

Tout commence pourtant par un coup de théâtre. Le CFR, dont le narrateur Sliv Dartunghuver, personnage principal récurrent, a désormais intégré les instances dirigeantes, est confronté à un risque majeur de dévoilement : un de ses agents a en effet perdu un ensemble de documents parmi lesquels une série de scénarios prévisionnels. L’enquête menée afin de retrouver ces pièces occupe la première partie du roman, qui voit en outre Sliv prendre part à la victoire d’Obama en poussant Sarah Palin comme colistière de John McCain, et s’interroger sur les finalités profondes du CFR, allant jusqu’à rencontrer un ancien responsable, Ignacio Vargas, personnage fantasque mais insolemment doué pour l’écriture d’histoires en tous genres. On a là autant de pistes prometteuses qui ne sont finalement pas poursuivies jusqu’au bout dans les deux parties suivantes.

Antoine Bello réoriente en effet l’intrigue sur l’élaboration d’un scénario particulièrement ambitieux, œuvre de Léna, la rivale chronique de Sliv (avec qui la relation faite d’amour-haine est en partie désamorcée par la confession de Sliv). Il s’agit de rien moins que de faire croire à l’existence d’une cité maya inconnue, celle des Chupacs, une sorte de dissidence civilisationnelle qui aurait engendré une société moins sanguinaire, plus fraternelle et solidaire, ayant en son cœur un jeu de balle favorisant le sens du collectif et l’empathie. La prose d’Antoine Bello déploie alors toute son efficacité, tout son mordant, de la mise en place du scénario jusqu’à son application concrète, menée en parallèle d’événements réels (tel l’accident de la plate-forme pétrolière Deepwater Horizon).

Le cœur des Producteurs apparaît donc double : d’une part, l’espoir d’une entente globale des humains entre eux, une forme d’unanimisme et de confiance dans le dialogue et la compréhension mutuelle qui témoigne surtout d’une générosité un brin naïve, et dont le résultat risquerait fort de confirmer la place des dominants ; d’autre part, la poursuite de la réflexion sur le réel menée jusqu’à son terme extrême. Par la bouche d’Ignacio Vargas, en effet, la simple notion de vérité est éreintée, jusqu’à ce qu’il n’en reste quasiment rien. Que ce soit la mémoire qui reconstruit et invente jusqu’à l’histoire elle-même qui change suivant les époques et les points de vue, les vérités apparaissent multiples et égales les uns aux autres.

Le plus dérangeant, dans cette vision, touche au réchauffement climatique, dont la réalité est largement mise en cause, industriels et écologistes étant renvoyés dos à dos, les uns et les autres n’hésitant pas à manipuler les faits à leur avantage. Ce faisant, Les Producteurs incarne une façon de roman postmoderne étalon, avec son relativisme outrancier et son idéologie de compréhension mutuelle relativement superficielle...

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