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Anges de fer, paradis d’acier (Frontières barbares, 2)
samedi 31 octobre 2015, par
Serge BRUSSOLO (1951-)
France, 2015
Gallimard, coll. "Folio SF", 464 p.
Avec Frontière barbare il y a deux ans, Serge Brussolo avait fait son retour à la science-fiction, et s’il ne retrouvait pas la flamboyance de ses œuvres des années 80 ou 90, le résultat n’en était pas moins fort honorable. Anges de fer, paradis d’acier est la suite directe de Frontière barbare, puisqu’on y retrouve son principal protagoniste, David Sarella, toujours sous la coupe du clone de Nothanos III, le néo-pape de l’Eglise du Pardon Universel Intergalactique.
D’abord réduit à participer à la défense de la forteresse papale, en proie à des attaques terroristes aériennes, il se voit finalement confier une mission cruciale : permettre la terraformation d’un astre marginal, afin qu’il puisse servir de refuge pour les fidèles de l’Eglise, en proie à un rejet généralisé des populations. Pour ce faire, David, épaulé par sa fille July et la mercenaire aguerrie Théa, doit libérer des dieux d’un genre particulier, créatures dotées de pouvoirs surhumains, mais au comportement fantasque, qui ont été soumises par un démembrement radical. Avec trois de ces divinités, véritables transpositions des dieux hellènes, envoyées sur la planète Almoha (le nom du diptyque réédité récemment chez Bragelonne mais écrit dans les années 1970, dont on retrouve la pesanteur écrasante), la transformation débute, et si le début du roman pouvait sembler un peu poussif, voire même à la limite du ridicule parfois, l’imagination extravertie de Serge Brussolo donne enfin toute sa mesure, et l’action sise sur Almoha est d’une puissance visuelle écrasante. Chacun des pseudo-dieux se voit attribuer une portion du sol planétaire, qu’il n’a alors de cesse de rendre plus ou moins habitable. Si Anatalia génère un monde proprement surréaliste, ses deux comparses, sous des dehors d’apparence plus classique, donnent en réalité naissance à des zones peuplées par des animaux plus dangereux et empoisonnés les uns que les autres.
Tous les thèmes clefs de l’œuvre de l’écrivain sont convoqués, trituration des corps, misère de l’existence, impuissance de l’homme face à ses créations, démesure de formes de vie toujours plus improbables, obsession de la mort. Cette dernière nous vaut d’excellentes créations, sculptures composites de corps métallisés en pleine agonie, ou cette Guilde de pompes funèbres galactiques qui donne l’occasion d’une énumération fascinante des rites funéraires et autres traitement des cadavres des plus glauques. Si l’univers de Brussolo se suffit à lui-même, il n’en reflète pas moins, d’une manière décalée, des préoccupations actuelles, que ce soit la montée de l’intolérance à relents racistes, le fanatisme religieux, les dangers du clonage, et surtout l’aliénation vis-à-vis des nouvelles technologies, à commencer par l’informatique, puisqu’Almoha est sous l’emprise d’une intelligence artificielle assoiffée de sang. Sans oublier une forme de pessimisme chronique, qui flirte facilement avec la misanthropie (« (…) l’état politique de l’Univers était arrivé à un tel degré de pourrissement que tout devenait possible. », p. 331). C’est ce qui explique que Brussolo ne cherche pas à dégager une quelconque alternative, renvoyant dos à dos les exploiteurs de technologie comme ses contempteurs ; pour preuve, le rejet de l’informatique et des nouveaux moyens de communication a conduit, dans cet avenir passé, à une régression phénoménale, rendant même l’intelligence suspecte.
La dernière partie du roman, qui voit la petite équipe réunie autour de David Sarella pénétrer au cœur de l’IA régentant la planète afin de mettre fin à sa folie prométhéenne, se révèle moins riche en visions fortes (on se contentera d’une version métallique du paradis vu par Thomas d’Aquin). Au final, Anges de fer, paradis d’acier est du même niveau qualitatif que Frontière barbare, avec ce regret d’un roman légèrement bancal, dont les idées les plus intéressantes auraient sans doute gagnées à davantage de développements.