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La mosaïque de Sarance

dimanche 13 septembre 2020, par Maestro

Guy Gavriel KAY (1954-)

Canada, 1998-2000

Buchet-Chastel, 2001 pour la 1ère traduction

Guy Gavriel Kay est désormais entré au panthéon des auteurs de fantasy, parmi ceux qui, ces dernières décennies, ont su renouveler le genre et lui offrir de nouveaux horizons. Il pratique une forme de fantasy historique, mais plutôt que d’enrichir l’histoire réelle par des éléments de fantasy (citons Le lion de Macédoine de David Gemmell, par exemple), il fait un pas de côté, transmigrant une époque, un cadre géographique donnés, propres à notre continuum historique, pour leur offrir une nouvelle jeunesse.

Dans La Mosaïque de Sarance, les noms de lieux, de divinités, de personnalités sont différents, et le ciel de ce monde proche du nôtre comprend deux lunes. Nulle difficulté néanmoins pour identifier l’empire byzantin sous le règne de Justinien, ici nommé Valérius II, et de Théodora alias Alixana ; la fameuse émeute populaire ayant failli coûter son trône au basileus, ainsi que le contexte de reconquête de l’ancien empire romain, sont également directement évoqués. L’auteur canadien ne se contente pas, toutefois, d’un simple travestissement, il apporte également des variations bienvenues. Le dieu au centre de la religion monothéiste prônée par Sarance (Constantinople) et Rhodias la déchue (Rome chez nous), Jadd, est un mixte du dieu chrétien et du Sol Invictus de l’Antiquité tardive ; il est en outre pourvu d’un fils, Héladikos, censé avoir été consumé dans son chariot après avoir apporté le feu aux hommes, et dont la nature exacte renvoie aux multiples débats ayant agité les chrétiens autour de la nature du Christ. Guy Gavriel Kay trace même des liens entre théologie et courses de chars, une institution à Sarance et dans l’empire. En outre, de vrais éléments fantastiques se nichent dans l’intrigue : un alchimiste est ainsi entouré d’une véritable ménagerie d’oiseaux… mécaniques, capables non seulement de parler, mais dotés également de capacités télépathiques.

La narration alterne entre personnalités de premier plan – le couple impérial au premier chef – et personnages de second plan : un aurige de l’équipe des Bleus, un messager de la Poste impériale, un officier qui ne s’exprime qu’avec force jurons et autres grossièretés, ou un artiste expert en mosaïque, dont le maître lui a prêté son identité afin qu’il participe à l’ambitieux chantier de reconstruction du Sanctuaire de Sarance (notre Sainte-Sophie). C’est ce dernier, Crispin, qui va occuper une place prépondérante dans le roman, la reine de son sol (équivalent du peuple des Goths ayant conquis la péninsule italienne) lui confiant une mission secrète vis-à-vis de l’empereur lui-même. L’auteur sait rendre ses personnages très vivants, profondément humains (le traumatisme vécu par l’artiste), et réussit avec brio à immerger le lecteur dans leurs psychés respectives. Au-delà des aventures vécues lors du voyage vers Sarance, c’est bien dans la capitale elle-même que les dangers sont les plus grands, au vu des intrigues et des complots dans lesquels nous plonge avec efficacité Guy Gavriel Kay. La perspective est polyphonique, et la multiplication des rebondissements se fait sans artifice, avec beaucoup de naturel. Les événements s’accélèrent dans la seconde moitié du deuxième tome, divergeant alors nettement de notre trame historique, pour le plus grand plaisir du lecteur. Le Seigneur des empereurs avait préalablement introduit un acteur majeur, l’empire des Bassanides, à travers le personnage d’un médecin devenu intime du sultan, ainsi qu’un décalque de la figure déterminante de Mohammed.

Prenant jusqu’au bout, La Mosaïque sarantine est sans doute ce qui se rapproche le plus d’un chef d’œuvre. Un diptyque qui immerge totalement le lecteur dans une réalité historico-fantasy, combinant grande et petite échelle, tout en déployant une sensibilité exacerbée. Je n’avais encore jamais lu Guy Gavriel Kay, et j’avoue que c’est une révélation ; du nectar pour l’esprit.

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