Accueil > TGBSF > A- > Aurora

Aurora

Histoire d’un aller et retour

dimanche 15 novembre 2020, par von Bek

Kim Stanley ROBINSON (1952-)

Etats-Unis, 2015

Bragelonne, 2019, 473 p.

Je suis loin d’être un fan inconditionnel de Kim Stanley Robinson, l’auteur m’ayant tour à tour enthousiasmé (Les menhirs de glace), agacé (2312) ou déçu (la trilogie Science in the Capitale). J’ai parfois été en décalage avec le public : je n’ai pas apprécié le message du Rivage oublié (prix locus du meilleur premier roman) et pas poussé très loin la lecture de l’acclamé Chronique des années noires (prix locus). Et pourtant régulièrement j’y reviens. J’y reviens parce que Mr. Robinson aborde des thèmes classiques de la science-fiction moderne au carrefour de ses différentes tendances : la colonisation de l’espace et l’écologie.

Aurora est le nom donné à un satellite de la planète E gravitant autour de l’étoile Tau Ceti par les passagers d’un vaisseau générationnel qui l’ont choisie comme destination à cause de l’abondance d’eau et de la présence d’oxygène d’origine non biologique [1]. Parti en 2545, le vaisseau voyage doit atteindre son objectif au bout d’un voyage de 170 ans et donc plusieurs générations se seront succédé à bord. Freya, l’un des personnages centraux, est la fille de Badim et Devi, laquelle occupe une place importante puisqu’elle s’use à régler les différents problèmes techniques qui surviennent à bord, tant dans les multiples écosystèmes - le vaisseau en contient 24 différents - que dans le fonctionnement du vaisseau. Et les problèmes sont nombreux dont les perspectives préoccupent Devi qui ne verra pas la fin du voyage. Il est temps que l’expédition arrive. Seulement, après des débuts difficiles mais prometteurs, la colonisation d’Aurora échoue et les habitants du vaisseau se divisent entre deux options : faire une nouvelle tentative ailleurs ou repartir vers la Terre.

Aurora est un roman très riche parce qu’il cumule plusieurs thèmes. Il y a d’abord celui des rapports entre les groupes humains, un thème central des histoires de vaisseau générationnel et particulièrement moteur du récit dans celui-ci, puisque le concept même implique forcément la question des rapports entre les générations, et aussi la question de la prise de décisions, donc de la politique et qui dit politique dit conflit. N’ayant pas hérité des compétences scientifiques de sa mère, Freya est devenue une personnalité par son empathie. Elle se fait aussi remarquer par sa très grande taille. Elle ne laisse donc personne indifférent sans être pour autant appréciée de tous.

Un autre thème central des histoires de vaisseau générationnel peut résider dans le vaisseau lui-même. Il occupe une place très importante dans Aurora. Dans un premier temps parce qu’il s’avère précisément décrit par l’auteur qui présente, à l’occasion du wandesjahr de Freya, différents biomes qui le constituent, mais aussi les mécanismes de décélération (à coup d’explosions thermonucléaires), de protection contre les éventuels objets spatiaux et autres détails. Le vaisseau est à la fois un écosystème et la réunion de plusieurs écosystèmes, puisque formé de deux anneaux reliés à un tronc, chaque anneau comportant douze milieux différents allant de la forêt équatoriale à la steppe mongole en passant par l’Ecosse ou la pampa. Dans un second temps, le vaisseau est aussi un personnage du récit. Son IA se développe à la faveur de son interaction avec les humains en général et Devi en particulier, et ce au point de devenir le narrateur.

Dans son roman, K. S. Robinson adopte le point de vue peu fréquent dans la science-fiction, mais de plus en plus acté dans les milieux scientifiques [2], de l’impossibilité pour l’humanité de quitter son nid, ou du moins la périphérie immédiate de celui-ci qu’est le système solaire. Dans Aurora, la distance apparaît comme un obstacle, mais n’est cependant pas le principal, celui-ci étant la compatibilité de la biologie terrienne avec d’autres milieux ou la faisabilité de la terraformation en un temps raisonnable. Remarquons ici une évolution dans le point de vue de l’auteur : alors que sa trilogie martienne tourne au tour de la terraformation de Mars sans en éluder la difficulté, ce roman remet en cause sa faisabilité. Se déroulant dans le même univers que 2312 - il est fait allusion à la ville mobile sur Mercure -, la terraformation de Mars est décrite comme de très longue haleine, limite comme un effort un peu vain.

Tous ces thèmes très intéressants et porteurs de réflexion et qui peuvent être perçus comme des métaphores de l’humanité sur son radeau spatial, sont traités dans cette forme un peu bavarde spécifique à l’auteur (j’ai toujours le souvenir des trop longues descriptions géomorphologiques martiennes de la fameuse trilogie...), alors que les personnages apparaissent le plus souvent assez normaux, avec leurs forces et leurs faiblesses. On s’attend à tout moment que Freya ait un éclair de génie, qui au final ne se produit jamais. Cela ne gâche en rien le roman, bien au contraire quand il s’agit de tous les aspects techniques du vaisseau. Sans doute ne suis-je pas encore prêt pour ma part à abandonner l’idée que l’humanité est destinée à sortir de son coin d’univers... En tout cas, je suis prêt à lire le prochain roman de Kim Stanley Robinson qui paraît en français mercredi, New York 2140.


[1Si Kim Stanley Robinson a choisi cette étoile de la constellation de la Baleine, c’est parce que, située à 11,7 années-lumières, elle figure parmi les constellations suffisamment proches de la Terre et susceptibles d’héberger des étoiles et des planètes similaires au soleil et à la Terre. C’est sans doute l’actualité scientifique astronomique récente qui a attiré l’attention de l’auteur, Tau Ceti ayant fait l’objet de découvertes en 2012.

[2Cf. l’interview du 18 octobre 2020 sur France Inter de l’astrophysicien Jean-Pierre Bibring pour lequel il est carrément « criminel de penser que la vie pourrait s’exporter ailleurs » (consulté le 21 octobre 2020).

Un message, un commentaire ?

Forum sur abonnement

Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d'indiquer ci-dessous l'identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n'êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.

Connexions'inscriremot de passe oublié ?