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Dossier Black Panther
Intégrale Black Panther (1ère époque : 1966-1976)
dimanche 20 novembre 2022, par
DESSINS : Rich BUCKLER (1949-2017), Billy GRAHAM (1935-1997), Gil KANE (1926-2000), Jack KIRBY (1917-1994)
SCENARIOS : Stan LEE (1922-2018), Don McGREGOR (1945-)
Etats-Unis, 1966-1976
Panini, 2 vol., 2018-2019
La sortie du film Black Panther en 2018, célébrée parce que premier film consacré à un super-héros noir, en écho à la sortie la même année de Wonder Woman, premier film consacré à une super-héroïne [1], s’accompagne de la parution en intégrale chez Panini des aventures de T’challa, roi héréditaire du Wakanda, alias la Panthère Noire [2], avec un premier volume couvrant les années 1966-1975, suivi, avec une régularité métronomique inhabituelle d’un volume chaque année rassemblant les périodes 1975-1978 (2019), 1979-1988 (2020) et 1989 (2021). Cependant, aussi chronologique qu’il paraisse, ce découpage cache une profonde discontinuité.
Genèse : 1966 - 1976
Rappeler que la Panthère Noire nait en pleine époque de revendications des droits civiques de la communauté afro-américaine relève aujourd’hui du poncif. Tout comme ses caractéristiques - il est un prince et africain - visent à valoriser les racines africaines de la communauté noire. A la différence de la plupart des super-héros, son identité n’est absolument pas secrète, son costume étant, dans sa première apparition, son costume de chasse. Autre manière de sortir du stéréotype de l’époque de l’Afro-américain : le personnage est richissime et à la tête d’un royaume dotée d’une ressource unique, le vibranium, un métal fabuleux, qui a fournit la matière à son développement aussi bien économique que technologique. Il n’est donc ni pauvre, comme le sont beaucoup - trop - de noirs américains de son époque, ni en manque d’éducation, la technologie du Wakanda étant assez avancée pour épater M. Fantastique en personne.
Pour autant, toutes ces caractéristiques n’obèrent-elles pas un peu le fait que la création de Stan Lee et Jack Kirby pour le cinquante-deuxième épisode de Fantastic Four, un peu avant juillet 1966, constitue de facto un soutien moral de la Marvel à la cause des droits civiques ? Sans doute pourra-t-on arguer que les publications de la compagnie, nées de l’imagination de deux juifs new-yorkais, ne devaient pas se vendre beaucoup parmi les populations blanches conservatrices du Sud des Etats-Unis (ou même du Nord) et que, un super-héros noir, n’était ni une tendance, ni un engagement, mais plutôt une tentative d’agrandir le nombre de lecteurs. Toutefois, en 1964, la Marvel envisage brièvement de rebaptiser le héros Black Leopard pour échapper à la connotation politiquement engagée de la panthère noire [3]. Toujours est-il qu’ils avaient en tout cas renoncé à un autre nom, celui de Coal Tiger.
La naissance de T’Challa fut le prélude à l’introduction de davantage de héros de couleurs dans les publications Marvel. Ainsi, le biophysicien Bill Foster, futur Goliath Noir, apparaît deux mois après les débuts de la Panthère et, en 1967, Joe Robertson embauchait au Daily Bugle où il allait échouer à convaincre JJ de la bienveillance de l’Araignée. Mais revenons à nos moutons ou à notre Panthère plutôt. Fort intelligemment, l’éditeur a fait figurer au sommaire du premier volume de l’intégrale l’épisode de Fantastic Four, or la Panthère Noire y attaque les Fantastiques ! Malheureusement, il n’a pas inclus les épisodes 53 et 54 suivants dans lesquels T’challa raconte son histoire et accompagne les FF, laissant le lecteur dans l’ignorance à moins de se rabattre sur le volume de l’intégrale Les Quatre Fantastiques de l’année 1966 édité et réédité (en 2020) par Panini, 35 €, merci !
A la décharge de Panini, qui ne fait souvent (toujours ?) que reproduire des éditions américaines, il faut reconnaître que la Panthère Noire n’est, à cette date de 1966, qu’un de ces personnages secondaires qui parsèment les comics. Dans les années qui suivent sa naissance, la Panthère Noire seconde Captain America dans les derniers numéros de Tales of Suspens à la fin de 1967 [4], un périodique où paraissent des aventures du héros au bouclier et de Iron Man. Puis dans le n°52 d’Avengers, il intègre l’équipe, sa tête figurant dans la case de la couverture dès le numéro 53 et ce jusqu’au numéro 87 (avril 1971) où il occupe le centre de l’histoire... et quitte l’équipe pour y revenir du numéro 105 (novembre 1972) à 126 (août 1974) ! Dans le même intervalle, il apparaît, parfois très ponctuellement, et souvent en tant qu’Avenger, dans Daredevil à deux reprises, dans Incredible Hulk, dans Sub-Mariner, dans Marvel Team-Up et Captain Marvel.
La griffe de McGregor
Finalement, au printemps 1973, la Panthère Noire prend la vedette de la deuxième série de la publication Jungle Action, un titre secondaire aux ventes faibles et réunissant jusque là des rééditions des aventures de vagues ersatz de Tarzan qui ont toutes pour point commun donc de se dérouler dans la jungle. Il y remplace un certain Lo-Zar. Le changement est d’importance, car, outre qu’il prouve qu’il y a une place pour des aventures indépendantes de T’Challa, il situe aussi celles-ci au Wakanda, alors que jusque-là il suivait les Avengers dans leurs pérégrinations, parce que la compagnie Marvel souhaite conserver le concept d’origine de Jungle Action. Le scénario est confié à Don McGregor, dont c’est la première contribution chez Marvel qui s’inscrive dans la continuité, mais la Maison des idées n’a guère foi en son succès [5]. Pendant trois numéros, le dessin est de Rich Buckler, auquel succède Billy Graham après un épisode (le n°9) dessiné par Gil Kane. La collaboration McGregor - Graham devait durer jusque juin 1976, sur un rythme bimensuel quasi-régulier, et pendant 12 numéros de Jungle Action : un run qui figure à cheval sur le premier et et le deuxième tome des intégrales car trop long pour ne former qu’un volume !
D’autant plus long que les 18 épisodes correspondent en fait à deux arcs narratifs, car Don McGregor, qui profite du caractère secondaire de Jungle Action pour échapper à une supervision éditoriale qui ne se manifeste qu’au moment de la sortie, a fait des choix et tous ne sont pas judicieux. Ainsi, par exemple, refuse-t-il toute special guest star, ou encore met-il sur le côté du caractère technologique du Wakanda, très exploité par Kirby dans l’épisode 52 des Fantastiques, mais largement occulté par McGregor, chez lequel il ne surgit à nouveau que par allusion ou utilitarisme.
Ainsi, le premier arc narratif, « Une panthère en colère », se déploie sur pas moins de 13 épisodes. Intelligemment, McGregor imagine qu’à son retour le souverain qui a négligé ses devoirs pour l’aventure aux côtés des Avengers retrouve un pouvoir fragilisé par sa longue absence et une révolte, et même une révolution, puisqu’un certain Erik Killmonger. Ce sera un des ressorts du film de Ryan Coogler.
Hélas, cette excellente idée scénaristique est exploitée n’importe comment et les épisodes s’enchaînent avec un manque de cohérence et parfois même d’esprit de suite, à l’image de la conclusion de l’épisode de Jungle Action n°10 et du début du numéro suivant. Don McGregor n’a pas de plan pour son méchant qui multiplie les attaques ; il l’affuble de comparses sortis d’un chapeau, parfois pour les besoins du scénario à l’instar du roi cadavre. Le scénariste fait feu de tout bois culturel, mêlant le vaudou, l’animisme et les grands mythes entretenus par les occidentaux sur l’Afrique. L’épopée de 13 épisodes s’achève dans une bataille où se retrouvent des dinosaures dignes du Monde perdu de Conan Doyle. A cela s’ajoute une prose verbeuse frôlant le ridicule (du moins dans sa version française) : ainsi quand, dès le première acte, la Panthère se bat dans une clairière aride selon le scénariste, malheureusement contredit par les décors verdoyants du dessinateur.
Quand, enfin, dans le numéro 19 d’Action Jungle, Don McGregor ouvre un nouvel arc, c’est pour ramener la Panthère Noire aux Etats-Unis et le confronter au Ku Klux Klan : « La Panthère affronte le Klan ». Ayant ramené au Wakanda sa dulcinée américaine, la chanteuse Monica Lynne [6], Black Panther revient avec elle aux Etats-Unis pour rendre visite à ses parents à l’occasion du suicide de sa sœur. L’influence de la lutte pour les droits civiques et l’affirmation de l’identité culturelle afro-américaine est patente, illustrée par le prénom de la défunte, Angela, évidente référence à l’activiste Angela Davis. Seulement, pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Le KKK ne suffisant pas, Don McGregor invente un cercle du dragon et s’embarque dans des épisodes dans lesquels la trame générale peine à progresser, le grotesque étant atteint dans le quatrième épisode où la mère de Monica racontant une tragique histoire familiale survenue peu après la guerre de Sécession (1861-1865), Tchalla s’imagine redressant les torts à cette époque.
Pourtant, cet arc, très engagé politiquement, détenait un potentiel intéressant, notamment à l’époque de sa parution alors que l’Amérique traverse une crise de conscience grave marquée par la guerre du Vietnam, l’affirmation des droits des minorités et les pratiques douteuses de l’administration Nixon. Au travers du personnage de Kevin Trueblood, c’est l’utopie américaine qui s’affirme et, après le Watergate, que ce soit par la bouche d’un journaliste, n’est pas un hasard ! C’est aussi la première fois que je vois, dans un comics, des références chronologiquement datées sur la biographie d’un personnage et donc qui ne soient pas celles d’un événement historique : Monica évoque son enfance, quand elle avait huit ans, en 1953 !
Il est donc dommage que Don McGregor se disperse dans ses histoires. Ce manque de continuité n’est pas le fait de tous les artistes, car les trois dessinateurs ont adopté un style qui, lui, en présente une grande laissant à peine paraître les changements survenus lors des n°9 et 10. Ce style s’avère résolument dynamique, valorisant la souplesse et la musculature du héros qui bondit telle une panthère, sans négliger l’expressivité des personnages. Buckler, Kane et plus longuement Graham ont fait un bon travail qui les distingue de pas mal de leurs condisciples de l’époque.
Cependant, cela n’a pas suffit : outre que les ventes ne progressent pas (mais ne baissent pas), des lecteurs très conservateurs (sic) protestent contre l’engagement du propos. De plus, Gerry Conway, devenu éditeur-en-chef en mars 1976, entend bien mettre au pas ces scénaristes qui jouent les indépendantistes, parmi lesquels Don McGregor. Toutes ces raisons conduisent à la suppression de Jungle Action, ne laissant pas le temps d’achever l’histoire en cours. Cependant, Jack Kirby, qui fait son retour chez Marvel, et auquel on déroule un tapis rouge, manifeste de l’intérêt pour sa création. C’est le début d’une autre époque.
Titre | Périodique | Date de couverture [7] | Scénariste(s) | Dessinateur(s) |
« La Panthère Noire » (The Black Panther !) | Fantastic Four | n°52, juillet 1966 | Stan Lee | Jack Kirby |
« Une panthère en colère » (Panther’s Rage) | Jungle Action | n°6, septembre 1973 | Don McGregor | Rich Buckler |
« Les régiments de la mort du Wakanda » (Death’s Regiment Beneath Wakanda) | n°7, novembre 1973 | |||
« Malice sous la lune pourpre » (Malice By Crimson Moonlight) | n°8, janvier 1974 | |||
« Les lances se brisent » (But Now the Spears Are Broken) | n°9, mai 1974 | Gil Kane | ||
« Le roi cadavre est mort et vit au Wakanda ! » (King Cadaver Is Dead and Living in Wakanda !) | n°10, juillet 1974 | Billy Graham | ||
« Quand on tue le dragon... » (Once You Slay the Dragon !) | n°11, septembre 1974 | |||
« Du sang sur la neige immaculée » (Blood Stains on Virgin Snow !) | n°12, novembre 1974 | |||
« Mort aux dieux ! » (The God Killer) | n°13, janvier 1975 | |||
« Des serpents au paradis » (There are Snakes Lurking in Paradise) | n°14, mars 1975 | |||
« Epines au corps, épines au cœur » (Thorns in the Flesh, Thorns in the Mind) | n°15, mai 1975 | |||
« Il y a toujours eu des révolutions » (And All Our Past Decades Have Seen Revolutions !) | n°16, juillet 1975 | |||
« D’ombres et de fureurs » (Of Shadows and Rages) | n°17, septembre 1975 | |||
« Epilogue ! » (Epilogue !) | n°18, novembre 1975 |
Titre | Périodique | Date [8] | Scénariste(s) | Dessinateur(s) |
« La Panthère vs le Klan (1) : du sang et des sacrifices » (The Black Panther vs the Klan, part 1 : Blood And Sacrifices !) | Jungle Action | n°19, janvier 1976 | Don McGregor | Billy Graham |
« La Panthère vs le Klan (2) : on m’a raconté une légende que j’avais envie de croire. » (The Black Panther vs the Klan, part 2 : They Told Me a Myth I Wanted to Believe) | n°20, mars 1976 | |||
« La Panthère vs le Klan (3) : une obscure croix de feu assombrit la nuit. » (The Black Panther vs the Klan, part 3 : A Cross Burning Darkly, Blackening the Night !)) | n°21, mai 1976 | |||
« La Panthère vs le Klan (4) : cavaliers de la mort à l’horizon » (The Black Panther vs the Klan, part 4 : Death Riders on the Horizon)) | n°22, juin 1976 | Billy Graham & Rich Buckler | ||
« La Panthère vs le Klan (5) : wind eagle en plein vol » (The Black Panther vs the Klan, part 5 : Wind Eagle in Flight)) | n°24, novembre 1976 | Rich Buckler & Keith Pollard | ||
« La grenouille du roi Salomon » (King Salomon’s Frog !) | Black Panther | n°1, janvier 1977 | Jack Kirby | |
« L’homme de six millions d’années » (The Six Millions Year Man) | n°2, mars 1977 | |||
« La course contre le temps » (Race Against Time) | n°3, mai 1977 | |||
« Amis ou ennemis ? » (Friends or Foes ?) | n°4, juillet 1977 | |||
« A la recherche de l’eau sacrée » (Quest for the Sacred Water-Skin) | n°5, septembre 1977 | |||
« Une coupe de jouvence » (A Cup of Youth) | n°6, novembre 1977 | |||
« Tambours ! » (Drums !) | n°7, janvier 1978 | |||
« Panthères ou chatons ? » (Panthers or Pussycats ?) | n°8, mars 1978 | |||
« Les mousquetaires noirs » (Black Musketeers) | n°9, mai 1978 | |||
« Le monde va disparaître » (This World Shall Die !) | n°10, juillet 1978 | |||
« Kiber le cruel » (Kiber the Cruel) | n11, septembre 1978 | |||
« L’énigme Kiber » (The Kiber Clue) | n°12, novembre 1978 |
[2] Vous excuserez la coquetterie mais je ne vois pas en quoi, à la différence de Wolverine, le nom français dévalorise le personnage
[3] Sean Howe, Marvel Comics, the Untold Story, p.133. Sans doute la naissance du Black Panther Party (for Selfdefence) en octobre 1966 a-t-il fait regretter à Kirby et Lee leur choix en raison du caractère révolutionnaire de cette organisation, en tout cas il existait déjà une organisation de défense afro-américaine ayant pour logo une panthère noire - le LCFO (Lowndes County Freedom Organization), fondée par Stokely Carmichael, le père de l’expression Black Power.
[4] Tales of Suspens n°97 à 99. Datés janvier à mars 1968.
[5] Sean Howe, op. cit., p.132.
[6] Apparue dans l’épisode 73 des Avengers fin 1969 début 1970
[7] Rappelons que la date de publications sur les comics est en fait la date de retrait du périodique et de son remplacement par le numéro suivant
[8] ibidem