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Le champ du rêveur
dimanche 20 juin 2021, par
Jean-Pierre HUBERT (1941-2006)
France, 1983
Denoël, coll. « Présence du futur », 224 p.
Jean-Pierre Hubert est un de ces écrivains n’ayant jamais véritablement réussi à être considéré comme un des auteurs de référence de la science-fiction française, en dépit de la qualité certaine de ses nouvelles (voir le Dimension Jean-Pierre Hubert de Richard Comballot chez Rivière blanche) et de la reconnaissance accordée à ce dernier roman, qui a obtenu en 1984 à la fois le prix Rosny aîné et le grand prix de la science-fiction française (devenu aujourd’hui grand prix de l’imaginaire).
Tout commence par le portrait d’un jeune allemand qui tente de se reconstruire dans le champ de ruines qu’est devenu son pays, juste après la fin du second conflit mondial. Au moment où il s’essaye au déminage artisanal d’une bombe, sa conscience est capturée juste avant l’explosion mortifère par la civilisation extra-terrestre de Rune. Cette dernière, qui s’est étendue sur toute une partie de la galaxie, se compose de trois espèces vivant en symbiose : les Spécialisés, à l’organisme plus ou moins mécanisé, chargés des tâches de surveillance et de protection ; les Conformes, plutôt portés sur des responsabilités techniciennes ; les Créatifs enfin, élite intellectuelle d’où émergent les dirigeants.
La conscience de cet enfant de Terre est véhiculée sur la planète Barduane, qui sert de champ d’expérimentation isolé du reste de l’univers. Elle est en effet implantée dans le cerveau d’un orque, et contrainte de générer des rêves, qui sont autant de sources de matérialisations, devant servir à mieux comprendre la nature de l’intelligence et de la créativité. Mais rapidement, l’expérience ne se déroule pas comme prévu, contraignant les créatifs Jorrick et Phalie à partir à la rencontre de fulgurances oniriques devenues bien réelles. Cela nous vaut des images saisissantes, celles de ces montures mécaniques, huileuses et pleines de vapeur, utilisées par ces barbares qui sont comme une inversion nihiliste des spécialisés, tandis que les conformes seraient ici les incomplets, et les créatifs transposés dans les orques, forme de vie qui finit par partir à la conquête de l’espace…
Finalement, Le Champ du rêveur, au-delà de l’évocation du traumatisme lié à la guerre, la Seconde Guerre mondiale bien sûr (en lien probable avec le propre passé familial de l’auteur) – ce qui le rapproche du Abattoir 5 de Kurt Vonnegut –, mais plus généralement tout conflit d’envergure, s’inscrit dans cette veine privilégiée par la science-fiction française, celle de la fuite hors d’un monde hostile ou des limites de sa prison personnelle, du rêve d’un ailleurs plus serein, d’une nouvelle réalité à bâtir par sa volonté (inconsciente ?), voire ici tournant carrément le dos à la responsabilité humaine.