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DAGON
dimanche 12 juin 2022, par
Stuart GORDON (1947-2020)
Espagne, 2001, H.P. Lovecraft’s Dagon
Avec Ezra Godden, Raquel Merono, Francisco Rabal, Macarena Gomez, Ferran Lahoz.
Les adaptations de Lovecraft au cinéma ont connu un sort similaire à celles de Stephen King : quelques franches réussites – citons simplement L’Antre de la folie de John Carpenter – mais surtout de vrais ratés. Stuart Gordon a pour sa part principalement marqué les esprits grâce à son adaptation de Herbert West, réanimateur, sous le titre de Re-animator en 1985. Le parti pris gore qui était le sien permettait d’apprécier le film avec un certain second degré.
Hélas, il n’en est pas de même pour Dagon, adaptation de deux nouvelles du maître : « Dagon », donc, et la célèbre « Le cauchemar d’Innsmouth ». L’intrigue est toutefois transposée en Espagne, ce qui n’est pas une mauvaise idée en soi. Paul et Barbara, devenus récemment riches grâce à des placements financiers juteux, passent quelques jours sur le bateau d’un couple d’amis, Howard (sic) et Vicki. Mais une tempête subite les conduit au naufrage. Paul et Barbara partent alors chercher du secours dans le village côtier le plus proche. Séparés, ils vont découvrir des phénomènes étranges et être confrontés à l’horreur.
La volonté de filiation est patente : Paul est ainsi hanté par des rêves persistants, dominés par la figure d’une femme-monstre (on sait la place de l’inspiration onirique chez Lovecraft), et tout le long du métrage, il arbore un sweat de l’université Miskatonic. De même, le village d’Imboca ne manque pas d’attrait, que ce soit son architecture légèrement singulière ou ses habitants possédant doigts palmés ou ouïes dans le cou ; la pluie d’orage tombant en permanence frise par contre le ridicule du fait de son systématisme. Mais toutes ces bonnes intentions sont gâchées par certaines piètres lignes de dialogue et par le jeu pitoyable des acteurs, à commencer par Paul et Barbara (il y aurait également des reproches à faire aux habitants d’Imboca, bien patauds dans leurs mouvements, ce qui atténue d’autant leur potentiel horrifique). L’éclairage est également trop cru, et les effets spéciaux trop voyants – médiocres maquillages de mélanges humains et profonds – ou mal appropriés (les bruits de coups lors de la bagarre entre les survivants et leurs geôliers fleure bon les années 70, en pire).
Sans oublier un scénario bancal. Ainsi, lorsque Paul s’installe dans le seul hôtel du bourg, il est rapidement repéré par les autochtones, qui décident alors de s’emparer de lui. Passons sur le fait qu’il aurait sans doute été plus simple de le capturer avant qu’il ne monte dans sa chambre, pour nous concentrer sur le mode de défense de Paul : alors qu’une foule hostile s’approche de sa porte, il ne trouve rien de mieux à faire que de démonter le petit verrou d’un autre huis pour le monter sur l’accès de sa chambre, sachant qu’il n’opposera de toute façon qu’une résistance éphémère ! On pourrait penser qu’il s’agit de second degré, mais j’ai bien peur que ce ne soit pas le cas… De même, lorsqu’il s’exfiltre du hangar dans lequel il avait trouvé un refuge provisoire, il tente de se mêler aux habitants… alors qu’il est vêtu d’un sweat orange, là où les autochtones sont tout en noirs et gris ! On a déjà trouvé mieux pour être discret, mais figurez-vous que ça fonctionne ! Un moment rehausse heureusement le niveau : lorsque Paul rencontre un vieillard, qui lui raconte l’origine du mal d’Imboca. Ce flash-back joue davantage sur le suggéré, et s’avère convaincant par son récit d’un pacte faustien noué entre les habitants et Dagon, par l’intermédiaire d’un capitaine ayant navigué dans le Pacifique…
La suite du métrage demeure inégale, avec son mélange d’imperfections notables et d’idées intéressantes, ainsi de la relation entre la prêtresse du culte, une femme hybride de profond se déplaçant sur une chaise roulante, et Paul, héros malgré lui. La fin du film est d’ailleurs parfaitement dans l’esprit de Lovecraft, entre suicide et atavisme.