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Ravage

quand la SF se fait passéiste

samedi 29 septembre 2012, par von Bek

René BARJAVEL (1911-1985)

France, 1942

Monument de la littérature science-fictive nationale, Ravage figure dans toute liste de livres digne de ce nom qu’un professeur de lettres de collège espère faire lire à ses élèves. Il est vrai que l’œuvre de René Barjavel est du pain béni pour cette profession. L’ouvrage concilie à la fois un style fluide et pur, une histoire dramatique et un contexte de rédaction idéale pour en faire une analyse. Moyennant quoi, je n’ai jamais lu Ravage au collège et m’y suis mis sur le tard, d’abord par manque de goût pour le style de l’auteur et peut-être par méfiance envers l’idéologie qu’il me semblait cautionner, à ce que j’en savais par ouï-dire. Il faut bien vérifier un jour cependant.

Dans la première partie de Ravage, François Deschamps, modèle d’ascension sociale, issu des rangs des derniers paysans authentique, et promis à être brillamment reçu ingénieur agronome, regagne Paris pour les résultats du concours et retrouver Blanche Rouget, son amie d’enfance issue du même milieu que lui. La demoiselle est sur le point d’accéder à la célébrité en devenant une chanteuse, grâce à son talent mais aussi à la concupiscence de Jérôme Seita, grand producteur médiatique et richissime. Ni l’un, ni l’autre ne verront leurs rêves se concrétiser. Alors qu’un fossé semble s’être ouvert entre les deux, au soir de la gloire de Blanche, l’énergie, électrique ou explosive, disparaît, sans de réelles explications autre que la responsabilité éventuelle de l’empereur noir d’Amérique du Sud et de ses velléités belliqueuses.

Du coup, sans crier gare, la civilisation urbaine et hautement technologique longuement décrite dans la première partie, s’effondre dans la deuxième. François parvient à sauver Blanche du chaos qui s’installe et constitue autour de lui une petite bande, bien décidée à survivre, qu’il entend bien, une fois l’équipement réuni, conduire en lieu sûr, hors de la ville. La mission est loin d’être une sinécure et nombre de ses participants y perdent la vie, mais les deux tourtereaux finiront les leurs des décennies plus tard, dans un monde que François a entrepris de reconstruire à son idée.

Seul un innocent, ignorant de l’histoire, peut lire Ravage sereinement. Tout autre établira d’inévitables parallèles entre les thématiques distillées par le roman et celle affirmées par la Révolution Nationale du Régime de Vichy durant lequel le livre a été écrit. La science y occupe une grande place. La première partie, « Les temps nouveaux », met en scène une société totalement urbanisée et industrialisée à laquelle la technologie et la science permettent tout et n’importe quoi, comme de sortir dîner à Edimbourg et de revenir à Paris dans la soirée, de disposer de lait au robinet à domicile, de ne plus cultiver la terre mais de produire la nourriture en usine, de regarder la télévision en 3D. Une société à la vie facile, que René Barjavel dépeint sans animosité, mais avec, on le sent bien, avec le ton amusé de celui qui raconte les enfantillages d’une société paresseuse. Par la suite, le ton évolue, et la technologie facile est vivement proscrite par un François devenu patriarche. Si l’on ne peut manquer d’excuser Barjavel d’avoir écrit un roman aussi dépourvu d’humanisme, c’est-à-dire de croyance en la capacité de l’Homme à progresser, pendant une époque aussi sombre de l’histoire nationale, il ne faut pas perdre de vue que d’autres écrivains n’ont pas désespéré, eux.

La personnalité du héros ne manque pas d’interpeler. L’homme est prêt à tout pour arriver à ses fins, y compris au meurtre. Il est homme d’action, sûr de lui, autoritaire même, quand les circonstances l’exigent. Il est guide aussi et ne pratique qu’une démocratie mesurée, passant le flambeau, au soir de sa longue vie, à son dauphin choisi par ses soins. Il exige aussi de ses compagnons qu’ils se comportent comme lui, avec virilité. A l’inverse, Blanche a au début tous les traits d’une petite campagnarde naïve en passe d’être dévergondée par le grand capitalisme au luxe séducteur. Elle devient au final une mère de 17 enfants, modèle de la femme de la société post-apocalyptique.

Celle-ci est clairement anti-capitaliste, la seule activité digne étant celle de la culture de la terre, à condition de la pratiquer à la sueur de son front et sans céder à la facilité technologique. Au début du roman, le personnage de Jérôme Seita incarne un modèle de grand patron sans vergogne aucune et concupiscent, mais dont la seule force réside dans sa fortune devenue inutile après la catastrophe.

Seule la religion manque à la position réactionnaire adoptée par François Deschamps. L’épisode de l’asile psychiatrique peut être vu comme une perception gnostique ou même athéiste du christianisme, les miracles de Jésus n’étant soit pas à la portée des mortels soit pures illusions temporaires. Barjavel n’en paraît que plus pessimiste. Du coup, l’Eglise n’aurait de raison d’être que celle d’offrir un lien social, soit une vision des choses qu’un gnostique réactionnaire comme Charles Maurras ne devait pas être loin d’entretenir.

Le lecteur pourra rester pantois devant une telle somme de naïveté manichéenne. Ravage est un livre fascinant, non pas par la vision de l’avenir qu’il formule, mais par le pessimisme de l’auteur qu’il traduit. Le connaisseur ne pourra manquer d’espérer que le succès durable du livre est bien dû aux causes évoquées au début de cette chronique et pas à une inclination quelconque du lectorat envers les idées du livre qu’il est impossible de ne pas les faire partager par l’auteur. On peut louer chez lui le réalisme quant aux conséquences écologiques de l’industrialisation, mais c’est bien tout.

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