Accueil > TGBSF > H- > Homo-Deus
Homo-Deus
samedi 25 avril 2015, par
Félicien CHAMPSAUR (1858-1934)
France, 1924
Black Coat Press, coll. "Rivière Blanche", 2014, 312 p.
ISBN : 978-1-61227-363-1
Rivière blanche, le pendant français des éditions Black Coat Press, n’a certes pas la même abondance de publications relevant de la première science-fiction française, mais elle continue malgré tout de rééditer certains romans d’importance, quand bien même le public visé demeure limité. On se souvient en particulier de Docteur Oméga ou du Nyctalope contre Lucifer. Le nom de Félicien Champsaur est sans doute encore plus oublié que ceux de Galopin ou La Hire, et pourtant, son livre, un des quelques-uns écrits dans le domaine du roman scientifique, mérite largement le détour.
Si, en apparence, il s’agit d’une nouvelle déclinaison du thème de l’homme invisible, avec la liberté morale qu’elle induisait déjà chez Wells (ou Platon !), Homo-Deus est bien plus riche que cela. Marc Vanel, l’homo-deus du titre, a bien découvert le procédé permettant de rendre invisible toute chose, mais il fait équipe avec un duo de scientifiques singuliers, les Fortin, père et fille. Ces deux derniers poursuivent leurs propres recherches, visant à comprendre la nature de l’âme et à pouvoir générer la vie humaine dans son intégralité. C’est surtout Jeanne Fortin qui se dévoue totalement à la science, rejetant les conventions sexuées et l’amour romantique comme illusion et construction sociale, apparaissant comme une nouvelle incarnation du fameux docteur Frankenstein. Le cadavre frais que lui fournit Marc Vanel donne l’occasion au trio de tenter un transfert d’âmes doublé de sa reproduction (on n’est pas loin du Docteur Lerne de Maurice Renard), et par là de pénétrer des intrigues politico-sentimentales relativement complexes, l’ambition et la cupidité guidant un couple prêt à tout, coupable du meurtre sus-cité.
On retrouve comme arrière-plan du roman un cadre et des personnages typiquement bourgeois, dont certaines célébrités parisiennes (Barthou, par exemple), des salons où Vanel use de tours proches du spiritisme (capacités qu’il a acquises en Asie), et des romances relativement prévisibles. Là où les choses se corsent, c’est avec le personnage anticonformiste de Jeanne, et avec l’utilisation de son pouvoir par Vanel : ce dernier n’hésite pas, en effet, à visiter des jeunes mariées frustrées dans leur sommeil afin d’abuser de leur corps… Avec la description de quelques scènes sanglantes, Homo-Deus apparaît pour l’époque comme un roman gore et à la franchise sexuelle surprenante. Félicien Champsaur a beau être très critique sur la politique parlementaire, et sur les politiciens qu’il met en scène, accusés de ne penser qu’à leur carrière et à leurs propres intérêts, y compris un député socialiste soignant les apparences (l’ombre porté des scandales de la IIIe République, comme celui de Panama)1, il n’en met pas moins en scène, comme nombre de ses confrères écrivains, un repoussoir révolutionnaire.
Le parallèle est en effet patent entre ces scientifiques déliés de certaines limites morales ou éthiques, qui vont jusqu’à usurper Dieu, et les bolcheviques, qui ont osé entamer une œuvre de transformation sociale (les Fortin sont d’ailleurs qualifiés d’anarchistes, et leur sympathie pour les Soviets n’est pas sans évoquer certaines figures libertaires de l’époque, tel Victor Serge). Tchitcherine, commissaire du peuple aux affaires étrangères de 1918 à 1930, est d’ailleurs un personnage qui apparaît dans le roman, participant à un dîner hautement symbolique chez les Fortin, ce qui nous vaut une scène lyrique dans le belvédère de leur manoir, tous regardant le ciel en songeant à leurs objectifs volontaristes en véritables « surhommes » (page 60).
Il n’est donc pas surprenant de sentir que les préférences de l’auteur – et celles de Jean Fortin d’ailleurs – vont vers un idéalisme affirmé proche de Camille Flammarion, postulant l’existence d’une âme sous forme d’un fluide qui, une fois le corps mort, se retrouve nomade de l’univers ou se réfugie dans un nouveau corps… A distance, donc, du matérialisme intégral défendu par Jeanne. Quant à Marc Vanel, bien que misanthrope et dénué de scrupules, car n’hésitant pas à utiliser par hypnotisme les services de divers individus non consentants, il n’en poursuit pas moins un but de justice… tout relatif, d’ailleurs, car en sauvant le président du conseil de la chute, il préserve un escroc carriériste, empochant au passage de l’argent. On a donc ici l’exemple même d’un super-héros dénué de scrupules, comme si la Première Guerre mondiale avait délié de toute attache morale…
Alors que pour l’essentiel du roman, l’intrigue menée à l’aide d’idées audacieuses se révélait relativement plate, proche parfois du vaudeville, la fin fait preuve d’une certaine audace, la fusion annoncée de deux esprits annonçant clairement une étape nouvelle dans l’évolution humaine. Car cet être bicéphale, véritable concrétisation du rêve de Platon, de l’individu réunissant en lui les deux sexes, vise des objectifs d’universalisme, d’amour et d’un pacifisme universel, une sorte de socialisme chrétien, pourrait-on aller jusqu’à dire... C’est aussi la victoire de l’idéalisme, de ces âmes capables finalement de se dissocier de leur corps sans mettre leur intégrité en danger.
Pour commander Homo-Deus suivez le lien vers les éditions Black Coat Press !