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Au Nord du monde
samedi 15 août 2015, par
Marcel THEROUX (1968-)
Royaume-Uni, 2009, Far North
Plon, collection 10/18, 360 p., 2010, postface de Haruki Murakami.
Marcel Theroux est un jeune auteur anglo-saxon, qui a bénéficié pour son second roman de l’accolade d’un des maîtres japonais des littératures de l’imaginaire, Haruki Murakami, père de 1Q84 (auteur de la postface et ami du père de l’écrivain, c’est également lui qui l’a traduit en japonais). Et pourtant, la découverte d’Au nord du monde ne surprendra pas vraiment l’amateur éclairé de science-fiction. Il s’agit en effet d’une histoire post-apocalyptique relativement classique, que l’on peut rapprocher du roman de Cormac McCarthy, La Route, en un peu plus lumineux sur le plan des sensations.
Le personnage principal est ici une femme, la révélation de son identité étant une des surprises du début de l’intrigue. D’abord seule survivante d’une petite ville située en Sibérie, près du cercle polaire arctique, dont elle est devenue la sheriff, elle tombe sur une ancienne esclave enceinte, à qui elle va s’attacher. La mort de celle-ci et de son bébé la pousse à se suicider, mais son geste est interrompu par la vision d’un avion s’écrasant dans la taïga. Dès lors, aiguillonnée par l’espoir d’une vie civilisée d’où aurait pu venir l’équipage accidenté, elle se lance dans une équipée à travers les grands espaces : elle s’y heurtera d’abord à une communauté religieuse repliée sur elle-même et dirigée par un mentor autoritaire et manipulateur, avant d’être réduite en esclavage au profit d’une communauté de survivants, puis d’affronter les dangers de la Zone et de son propre passé...
Par le biais de cet unique personnage, meurtri par la vie, et dont toute la famille a disparu (nous ne les découvrons partiellement que par quelques retours en arrière), Marcel Theroux nous propose sa vision du monde et de l’humanité. Sans grande surprise, l’avenir décrit est la résultante du réchauffement climatique, ayant entraîné un effondrement des sociétés, un exode massif de réfugiés climatiques et un retour au chaos et à la loi du plus fort. Rien de très nouveau sous le soleil, donc, à ceci près que le cadre géographique est exotique : la Sibérie décrite a en effet été colonisée, peu de temps avant l’effondrement planétaire, par toute une série d’Eglises protestantes d’origine étatsunienne -dont une variante des Quakers pour l’héroïne-, sollicitées directement par les autorités russes afin de compenser le déclin démographique de la population nationale. Marcel Theroux se permet même un hommage discret aux frères Strougatski, références de la science-fiction soviétique, en décrivant une Zone dangereuse mais abritant des artéfacts aussi mystérieux que convoités (le clin d’œil à Stalker est transparent).
Mais si morale il y a à tirer de cette histoire, c’est en somme celle du juste milieu : le réchauffement climatique est ici au moins autant provoqué par les émissions de gaz à effet de serre que par leur inversion brutale ; le mode de vie traditionnel des Toungouses, populations autochtones de Sibérie, est salué pour son goût de l’authenticité, mais pour autant, un progrès technique digne de ce nom est jugé indispensable à une vie plaisante ; la vie sociale peut devenir un enfer lorsqu’elle est soumise à une forme d’utopie mortifère (religieuse ou, par une légère allusion, soviétique), mais les relations humaines sont nécessaire au bonheur sur Terre.
Finalement, la conclusion à tirer de ce tour d’horizon de notre possible avenir, qui est dans le même temps regard jeté sur les impossibilités d’un passé meilleur (celui de l’URSS en particulier), s’avère très fataliste et sans grande ambition : « (…) à l’automne de ma vie, souffler un peu à l’idée que j’avais cultivé mon lopin de terre, entretenu ma maison et aimé les gens que je devais aimer. La tête de bronze sur la place [celle de Lénine] parlait d’une humanité pleine d’idées de grandeur, mais je parie que ce que veulent la plupart des gens, c’est ça. » (p. 254) Tout cela fait d’Au nord du monde un roman relativement consensuel, pouvant plaire au plus grand nombre, agréable à lire, certes, mais manquant quelque peu de mordant et de teintes plus vives, plus marquées.