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Nouvelles de la mère patrie

dimanche 4 novembre 2018, par Maestro

Dmitry GLUKHOVSKY (1979-)

Russie, 2010

L’Atalante, coll. "La Dentelle du Cygne", 253 p., 2018.

Dmitry Glukhovsky s’est fait mondialement connaître grâce à son Métro 2033 et à la trilogie qu’il initia. Il a également signé des romans souvent épais, à l’image du dystopique Futu.re, mais l’intérêt de Nouvelles de la mère patrie, c’est de nous faire découvrir sa dimension de novelliste. Seize textes sont au programme, généralement publiés dans la presse. Ecrits d’une plume directe et tranchante, souvent assassine, ils tournent en dérision des caractéristiques contemporaines ou plus structurelles de son pays, la Russie.

« From Hell » part ainsi de l’expédition d’un géologue médiocre en pleine Sibérie, qui parvient à déboucher par forage au cœur des enfers. Nul récit d’exploration ou de monde perdu toutefois, ce qui intéresse l’auteur, c’est les liens d’intérêt entre Lucifer et les pouvoirs politiques et économiques russes – le géant Gazprom est ici la cible privilégiée. « Tout a un prix » abandonne même la science-fiction, au profit d’un récit plus directement réaliste, combine glaçante d’un homme d’affaires se servant de travailleurs tadjiks comme manne financière… Le racisme et la corruption des élites sont clairement dénoncés, tout comme dans « Utopia », où un riche Russe ne comprend pas pourquoi la corruption ne fonctionne pas en France, et «  Une bonne action », où un des rares policiers soucieux d’honnêteté refuse d’enterrer l’affaire de « Tout a un prix », justement. Le dénouement de son action pour le moins radicale, typiquement science-fictif pour le coup, est une nette allusion aux promesses millénaristes, celles de la Russie orthodoxe et panslaviste ou celles des bolcheviques (on retrouve une problématique proche dans « Pas de ce monde »). « Prothèse » vise directement les nouveaux riches russes, le nouveau caprice de leurs épouses étant ici de se faire implanter un cerveau… en silicone ! Ou comment rendre la femme encore plus soumise et décérébrée.

Quant à « Avant l’accalmie », il s’en prend à la télévision et à sa dérive populiste et vulgaire, imaginant un programme où des leaders politiques se battraient dans la boue en lieu et place d’un véritable débat, d’autant que le sujet concerne ici la capacité de la Russie à faire de l’argent avec du vent ! Toujours en lien avec les médias, « Les informations qui comptent  » est une condamnation du contrôle du travail journalistique et de l’accent mis sur les actes du président et du premier ministre (on est à l’époque du duo Poutine-Medvedev), considérés comme plus importants que le message d’un extra-terrestre venu brièvement sur Terre après une attente de dix millénaires… Poutine, alias « le Leader de la nation », est le sujet de plusieurs textes, parmi lesquels l’excellent « Apparition », dans lequel, exploit supplémentaire à ceux que les médias ont popularisé, il parvient à engrosser des femmes russes par rêve et à relancer ainsi la natalité du pays, ou « Toucher le fond », Dmitry Glukhovsky y faisant clairement part de son fatalisme (une nature russe quasiment éternelle) au sujet de la vodka en particulier, indispensable pour supporter des conditions de vie difficiles. « Deus ex machina » s’amuse également, à travers le scénario de la série cinématographique Terminator, à illustrer la peur, l’angoisse même des privilégiés à l’égard de tout ce qui pourrait menacer leur position, ici une simple machine à voter et à compter, surtout. Enfin, « Avant et après » expose le conservatisme de la base, avec ce village coupé un temps de la télévision, média moderne par excellence, et qui découvre qu’une troisième guerre mondiale a eu lieu durant ce laps de temps : les préoccupations des habitants demeurent alors d’une grande maigreur.

« Panspermie » s’éloigne de ces préoccupations sociales plus terre-à-terre, évoquant les relations entre astronautes et cosmonautes à bord de l’ISS. Outre le goût des Russes pour la vodka, l’ironie vient surtout du détournement de la théorie panspermique, renouant à l’envers avec la nouvelle d’Arthur C. Clarke, « Avant l’éden ». Si certaines références sont parfois si spécifiquement russes qu’elles échappent en partie au lecteur français, Nouvelles de la mère patrie exprime au plus clair la prose politique de Dmitry Glukhovsky.

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