Hamlet au paradis (Le subtil changement, 2)

Jo WALTON (1964-)

Grande-Bretagne, 2007, Ha’Penny

Denoël, coll. "Lune d’encre", 2015, 352 p.

Pour une fois la suite d’une série ne se sera pas fait attendre : moins d’un an après la publication du Cercle de Farthing, la collection Lune d’Encre accueille Hamlet au paradis dont le titre, parfaitement adapté à l’histoire, consacre la renonciation annoncée de l’éditeur Denoël à trouver des titres français respectant la cohérence des titres originaux qui se réfèrent aux mystérieuses unités monétaires britanniques. C’est une autre pièce autrement prestigieuse qui a été préférée, le paradis faisant référence au dernier étage des sièges d’une salle de théâtre.

Une pièce tellement prestigieuse que lorsqu’un metteur-en-scène de renom lui propose d’endosser le rôle-titre dans une inversion des genres à la mode du théâtre britannique de cette Grande-Bretagne uchronique, Viola Lark ne peut qu’accepter [1]. Seulement l’affaire commence sous de mauvais auspices car l’actrice qui devait jouer le rôle de Gertrude meurt dans l’explosion d’une bombe. Il revient à l’inspecteur Carmichael et à son pas si fidèle sergent Royston de Scotland Yard, déjà présents dans Le Cercle, de mener l’enquête dans un contexte politique troublé quelques semaines après la mise en place du gouvernement Normanby et de sa politique sécuritaire, et à la veille d’une visite officielle d’Adolf Hitler.

Construit sur le même mode narratif que Le Cercle de Farthing, Hamlet au paradis alterne les chapitres entre une narratrice, Viola Lark, et l’enquête de Carmichael. Bien entendu, Viola n’est pas seulement spectatrice des événements mais y participe. En plus d’être la fille en rupture-de-ban de lord Larkin, Viola ne peut échapper à l’univers politique de son époque : sa sœur Cécilia a épousé Heinrich Himmler tandis que Siddy, une autre de ses sœur, a épousé la cause communiste. Mettant en scène une pièce dans la pièce (ou dans la fiction si l’on préfère), à l’instar de Hamlet, Hamlet au paradis a toutes les chances de s’achever aussi tragiquement et, à moins d’optimisme aveugle, le lecteur en acquiert rapidement la certitude ce que nuit un peu à la lecture.

La personnalité de Viola Lark participe pour beaucoup à l’installation de cette certitude. Alors que l’héroïne du Cercle avait révélé progressivement un certain sens politique, Viola n’en a absolument aucun : elle incarne en fait le modèle du citoyen qui se désintéresse de la politique et ne se rend pas compte de ce qui se bâtit. Hamlet au paradis montre une Grande-Bretagne où l’antisémitisme devient politique tout en se réfugiant derrière des excuses sécuritaires et où les citoyens acceptent cette évolution par peur pour leur sécurité mais pas par peur de la police. Le pays reste encore une démocratie puisqu’il existe une opposition légale et la liberté de la presse, mais elle est moins libérale, mais encore une fois, l’auteur a simplement extrapolé des dérives possibles. Ainsi les soeurs Larkin sont-elles inspirées des soeurs Mitford qui elles ont réellement existé, l’une d’entre elles ayant épousé le fasciste britannique Oswald Mosley et voué une admiration sans borne à Hitler, une autre ayant adhéré au communisme.

J’ai moins goûté ce deuxième volume tout en y retrouvant le même plaisir de lecture que dans Le Cercle de Farthing. Le style de Jo Walton me semble très fin et l’atmosphère si britannique m’a beaucoup plu, ce qui ne m’a pas surpris. L’intrigue est tout aussi finement construit et on appréciera la subtile utilisation de Shakespeare et de la transformation de sa pièce où une femme recourt au meurtre politique mais ne tue pas la bonne personne.