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Le serpent d’angoisse
dimanche 10 avril 2022, par
Roland C. WAGNER (1960-2012)
France, 1987
ActuSF, coll. « Les Trois Souhaits », 120 p., 2010.
Les éditions ActuSF ont, avant une démarche similaire opérée par les Moutons électriques, eu la bonne idée de republier quelques-uns des textes les plus anciens du regretté Roland C. Wagner. Parmi eux, Le Serpent d’angoisse, un roman initialement paru au Fleuve noir, et qui avait décroché le prix Rosny en 1988.
On est là dans une narration qui se déploie sur plusieurs plans, et fait la part belle à la réalité virtuelle. Les Etats-Unis ont en effet découvert une drogue permettant la télépathie, dans la lignée des expériences qu’ils avaient pu mener dans les années 1950 et 60 sur le LSD. Les tests pratiqués sur des humains ont même conduit à la découverte de la psychosphère, une zone où tout est possible, véritable projection du rêve américain, au sens premier du terme, et de ses angles morts. Certains des télépathes les plus doués louent leurs services à de riches clients avides de sensations fortes et de vies héroïques dans d’autres univers. Se téléscopent alors divers moments, deux enfants menacés par le délitement de la séquence dont ils font partie bien malgré eux, un télépathe perdu qui a comme seul point fixe l’assassinat qu’il doit perpétrer, et des fantasmes réalisés plus glauques les uns que les autres. Se dessine surtout peu à peu l’opposition entre la logique capitaliste, incarnée par la T.T.O., et une opposition qui s’apparente un peu à un fourre-tout, dont le nihilisme nourrit certaines accointances avec celui du mouvement punk, apprécié de l’auteur.
Les Etats-Unis que Roland C. Wagner met en scène sont comme l’exagération de ceux de la présidence Reagan. La religion protestante, l’Etat policier, la crise économique et l’accroissement des inégalités ont pris une telle ampleur que le pays a volé en éclat, entre des WASP plus agressifs que jamais face aux différences (ils sont d’ailleurs surnommés les Amérikkkains !), et les diverses minorités de la population, entrées en sécession. On trouve déjà une Commune, ici Detroit, qui s’est choisi Jack London comme symbole (clin d’œil au Talon de fer, qui lui se centrait sur Chicago), mais elle est autrement plus militarisée que celle d’Alger dans Rêves de gloire. Autre élément intéressant, une URSS qui s’est libéralisée, provoquant la radicalisation en retour des Etats-Unis, prêt à manipuler de pseudo-terroristes d’extrême gauche pour décrédibiliser la « patrie du socialisme » (on peut peut-être y voir l’influence de la situation italienne des années de plomb, avec le rôle joué par la CIA).
Cette idée de psychosphère, centrale dans ce court roman, sera ultérieurement développée par Roland C. Wagner, en particulier dans sa série des Futurs Mystères de Paris. Elle s’apparente en partie à la noosphère de Teilhard de Chardin, et symbolise peut-être ce stade baroque alors atteint par la science-fiction française…