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La Bulle d’éternité

samedi 18 mai 2013, par Maestro

Raymond ISS (1945-)

France, 2013

Black Coat Press, coll. "Rivière blanche", 306 p.

ISBN : 978-1-61227-166-8

Raymond Iss est ce que Stéphanie Nicot dans sa préface qualifie fort justement de « petit maître », un de ces auteurs plutôt discrets, qui trace son chemin avec assurance -il a été publié dans Fiction, Galaxies et Imagine-, tout en demeurant exclusivement un nouvelliste. La Bulle d’éternité est un recueil assez large, qui recouvre près de trois décennies d’activité à travers seize textes, dont six sont inédits.

Parmi les thèmes de prédilection de Raymond Iss, le voyage temporel occupe une place non négligeable. A commencer par le récit éponyme, séduisante variation de L’Invention de Morel, puisqu’un fonctionnaire d’un avenir visiblement en proie à la surpopulation fait le choix de s’enfuir dans le souvenir d’un temps plus serein, au cœur de la joie sincère et légère d’une famille. « Un temps de chien » est plus anecdotique, cette histoire de déplacements temporels balbutiants conduisant à l’incorporation dans notre présent d’un chien du futur n’étant qu’une déclinaison de cette méfiance souvent salutaire vis-à-vis des risques portés par la science. « C’est quand, l’Amérique ? » se révèle autrement plus frappant, à travers son évocation de voyageurs temporels qui s’opposent en pleine veille de Révolution, évocation qui gagne beaucoup à être conduite par des individus du XIXe siècle, avec toutes les limites de leur raisonnement.

Sympathique, « Erreur d’aiguillage » propose un mode de voyage dans le temps -le train- qui mériterait d’être plus largement développé, consistant à aller observer des batailles célèbres, mais qui connaît un problème d’orientation ; Raymond Iss privilégiant souvent un certain flou marginal dans la résolution de ses intrigues, on ne peut que supputer sur la destination réelle des voyageurs (une gare de Pologne occupée, plus qu’un camp d’extermination qui ne pouvait pas encore exister en 1941). Sur une thématique extrêmement proche, on lui préfèrera « Les beaux voyages de l’oncle Paul », qui vaut à la fois par son tableau impressionniste d’un avenir post apocalyptique et par son final, touchant et intrigant par le parallèle qu’il semble tracer entre individus séparés par un gouffre de temps. « La traque » est encore plus intéressante, grâce à son personnage d’immortel né à la fin du XIVe siècle, et qui s’efforce de survivre sans attirer l’attention des autres humains sur sa particularité, jusqu’à en faire un sujet de fiction ; une mise en abyme qui entrait en résonnance avec une des tendances des années 80, celle de la métatextualité, et qui allait connaître par la suite une extension marquée.

Il en est d’ailleurs de même pour « Cassiopée », un inédit qui se penche sur des extra-terrestres échoués sur Terre, mais sur le fil du rasoir, le narrateur pouvant aussi bien passer pour l’un d’entre eux que pour être carrément fou, faisant de la misère sociale une altérité radicale. On retrouve le thème de l’immortalité dans « Machevigne », ou l’idée d’une feuille de vigne génétiquement modifiée devenant par là même pourvoyeuse d’une espérance de vie supplémentaire : amusant et trop peu sérieux. « Boomerang », autre inédit, est plus baroque, et dans cette nouvelle délirante, on discerne des messages pseudo divins tournés en dérision. Autre thème classique, celui de la chute de la civilisation dans la barbarie, décrit dans le bien nommé « Ténèbres », qui voit un ancien universitaire assister à la déliquescence de la culture et à l’émergence de nouveaux seigneurs de la guerre. « La fenêtre d’orient » est autrement plus consistant et prenant, qui imagine, au lendemain d’un cataclysme profond, une civilisation nord-américaine (le Niurk du récit ressemble d’ailleurs fort à un hommage à Stefan Wul) ayant implanté une colonie en Europe redécouverte, et qui est très loin de célébrer les explorateurs les plus hardis… Sa structure hachée donne un surcroît d’intérêt à un texte certes guère original sur le fond, mais habilement traité.

« Le rat », datant du milieu des années 80, donne l’impression d’appartenir au courant le plus militant de la science-fiction française, avec ses jeunes étudiants libertins qui se retrouvent entraînés par des militaires, comme une métaphore de l’existence moutonnière de la majorité des individus, menés par la férule de l’Etat, et dont les éléments les plus solides sont ensuite récupérés pour servir ce Moloch contemporain. De cette tendance engagée, la nouvelle la plus marquante est « L’ambassadeur », métaphore de la guerre froide entre deux puissances de l’ouest et de l’est, qui voit un ambassadeur occidental aborder les rivages d’un pays neutre, archipel où la vie est paisible, la notion de divinité totalement disparue, la longévité accrue et l’harmonie anarchiste parfaite. Utopique, certes, mais tellement agréable ! « Soldats de lumière » en est son pendant pour le camp opposé, avec la mise en place d’une société puritaine, à la fois théocratique et totalitaire, qui finira terrassée par une arme inattendue, celle du cinéma : jolie réflexion de plus sur le pouvoir de l’image et de l’imaginaire. « La résidence », bien que décrivant une prison de haute technologie dont l’horreur réside justement dans son caractère aseptisé, ne marque pas suffisamment, surtout en raison de sa fin plutôt bâclée. Enfin, « La citadelle et le continent » est sans nul doute le texte le plus vaporeux, le plus énigmatique de tous, d’une beauté un peu lisse, et que l’on peut lire comme le résultat de l’observation de l’humanité par des êtres plus avancés, sélectionnant certains représentants de notre espèce afin de leur ouvrir une autre réalité…


Pour commander La Bulle d’éternité suivez le lien vers les éditions Black Coat Press !

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