Accueil > TGBSF > R- > Un Rêve mandarine et autres mythes urbains
Un Rêve mandarine et autres mythes urbains
samedi 5 septembre 2015, par
Francis VALERY (1955-)
Luxembourg, 2015
Black Coat Press, coll. "Rivière blanche", série Noire, 252 p.
On ne présente plus Francis Valery, figure bien installée des littératures de l’imaginaire, à la fois auteur (cf. La Cité entre les mondes), traducteur, anthologiste et critique. Un Rêve mandarine, c’est le recueil de plusieurs de ses nouvelles fantastiques, qui se décompose en un ensemble homogène et quelques textes annexes. Les cinq premiers récits, en partie repris pour cette édition, s’articulent donc en une construction commune, les narrateurs de chacun croisant les autres et se retrouvant parfois dans leurs propres aventures ; des précisions biographiques et une chronologie complètent d’ailleurs le dispositif prosaïque. Il y a là une volonté de transfigurer le quotidien, d’explorer ses interstices afin d’y déceler (ou d’y insuffler, suivant le point de vue que l’on adopte) de la magie, une forme de perturbation, comme si la réalité nous fuyait entre les doigts. Ces nouvelles ont une localisation géographique semblable, Bordeaux, avec Lorient en arrière-cour ; de même, en dehors de la première, qui prend place au mitan des années 1970, elles se déroulent toutes à la charnière des années 1980-1990 et en 1999.
« Un rêve mandarine » est centré sur un musicien de rue, proto punk qui fait la connaissance d’une jeune femme bourgeoise de prime abord froide, voire frigide, puis de sa jumelle, aux antipodes de la première. Le cœur de cette nouvelle de possession est en réalité la musique, le narrateur assistant à des concerts -devenus ensuite mythiques- de Tangerine Dream (époque Ricochet) et de Magma, le spectacle livré par le groupe de Christian Vander étant ici superbement retranscrit. Puissance de l’écriture et de l’interprétation musicales, et compréhension limitée de ces formes de vie qui, à l’instar de celles de Rosny aîné, sont si proches de nous… « Angie, mon ange », divisé en cinq parties, est la nouvelle la plus ambitieuse sur le plan littéraire, une variation sur le vampirisme, mais très éloignée des visions conventionnelles éculées. S’y lient connaissance deux formes de minorités, la judéité et l’immortalité, ou comment le juif errant se retrouve (re)généré par un amour mortifère. « Suzie Q » est plus classique, avec son histoire d’objet vivant, capable de fournir une inspiration artistique à son propriétaire, tout comme « Cécile », une variation sur le thème du fantôme, assez touchante en l’espèce. « Bleu » est l’autre sommet de cette suite littéraire, intrigue sur le fil du réel aux visions fantasmatiques d’une grande force, en laquelle on retrouve musique et substances psychotropes, qui vont former une invitation vers un monde autre, une volonté d’éviter l’assassinat d’une idole de la pop, mais qui signe l’impossibilité de revenir sur les drames du passé, sous peine d’en subir le contrecoup. L’ensemble thématique proposé est d’une grande force, un canevas aux séduisants entrelacs, servi par un ton souvent direct, haché, et empli de bons mots et de clin d’œil à toute une culture musicale.
Quatre nouvelles déconnectées des précédentes sont ensuite regroupées sous le nom de l’une d’entre elles, « L’envol du flambé » (sic). « L’horreur des collines » est un hommage flagrant à Lovecraft, une histoire sise en Nouvelle Angleterre qui évoque une forme de vie végétale hybride, sans doute un brin trop scolaire, trop sage. « Mémoire morte » s’inscrit dans la lignée du roman Le Talent assassiné, une réflexion sur la création littéraire, sur la frontière entre capacité d’invention et écriture autistique, devenue une prison labyrinthique. Un bon texte, qui gagnerait peut-être à être davantage approfondi. « Goût de vanille », le seul inédit de ce recueil, est un hommage à Pierre Loti, un chevauchement de deux temporalités reliées par la figure de la mort, et une idée précieuse, celle d’une mort du passé pour éviter celle du présent… Un beau récit, assurément. Enfin, « L’envol du flambé », plus court, est également plus anecdotique, tranche de vie où l’attraction pour les papillons sert de métaphore de l’existence. Un Rêve mandarine est de la sorte une excellente porte d’entrée vers les univers si particuliers et attachants de Francis Valery.
Pour commander Un Rêve mandarine suivez le lien vers les éditions Black Coat Press !