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Le Petit répertoire des légendes rationnelles
dimanche 28 janvier 2018, par
Ugo BELLAGAMBA (1972-)
France, 2017
ActuSF, 366 pages. [Livre électronique uniquement)
La Cité du soleil et autres récits héliotropes, précédent recueil de nouvelles ou novellas d’Ugo Bellagamba, remonte déjà à 2003. Le Petit répertoire des légendes rationnelles, avec ses quinze textes, vient donc à point nommé, mais il convient d’emblée de noter qu’il n’existe qu’en version numérique. Chaque nouvelle est précédée d’un texte explicatif revenant sur sa genèse. Autre particularité, nombre de ces histoires sont délibérément conçues comme des hommages à un auteur.
« Les années d’orichalque » (2009) surprend, car il s’agit d’une variation sur le thème des dragons (il faisait partie de l’anthologie Dragons), un récit imprégné de fantasy, mais traité sur un mode subtilement science-fictif, croisant les légendes (on pense aussi bien à la mythologie scandinave qu’à l’Atlantide) et les références littéraires (le cycle de Pern d’Anne Mac Caffrey, en particulier), ce qui le rend très plaisant. Autre variation sur un thème classique, en l’occurrence le vampirisme, « Icare hermétique » (2013), où une dictature écologiste envoie les condamnés sur Mercure afin d’y extraire du platine, non sans les avoir modifiés dans leur corps auparavant ; le texte, plutôt bien pensé dans sa structure, pêche toutefois par son manque d’explications approfondies, rendant la chute moins frappante. « La véritable histoire de Messire Gauvain et le Chevalier Vert » (2001) s’attaque à la légende arthurienne, et s’il est réussi sur le plan formel, la morale de l’histoire, sur l’opposition magie / christianisme, se révèle un peu courte.
« Ecrire l’humain » (1998) s’avère plus original, avec ses livres dotés d’une âme, discutant sur la nature de l’homme : on est ici plus proche du conte philosophique, concluant à l’importance cardinale du livre, quel que soit sa forme, véritable reflet de l’IA. « La fin de toutes les fêtes » (2016), publié initialement dans Dimension Fées, relève lui aussi du conte, croisant la Befana italienne et l’artisan de l’unité du XIXe siècle autour d’une morale élémentaire qui dépasse largement le seul Cavour. « Un hiver avec Fermi » (2012) est une déclinaison du célèbre paradoxe, portrait de l’histoire lointaine de l’humanité, de ses efforts pour réenchanter l’univers et de sa chute finale ; cette mise en scène de l’espèce sapiens comme arrivée trop tôt possède une emphase certaine, mais aurait assurément mérité davantage de développements. On lui préférera presque « Purple Brain » (2016, pour l’anthologie des Utopiales), sympathique hommage à André Brahic, et évocation d’une vie extra-terrestre sur un des satellites de Saturne.
Plus abouti, « Journal d’un poliorcète repenti » (2011), largement primé, a ceci d’intéressant qu’il est en connexion étroite avec l’actualité du moment. Ce sont les événements du printemps arabe qui ont en effet poussé Ugo Bellagamba à imaginer une société secrète placée sous le patronage de Vauban, et dont l’objectif est d’aider au maintien de l’ordre, en étouffant dans l’œuf les velléités révolutionnaires. Jusqu’au jour où l’un de ses membres doute et bascule, en Tunisie, devant le courage d’un homme du commun. Hommage aux acteurs des soulèvements révolutionnaires en Tunisie et en Egypte, « Journal d’un poliorcète repenti » (2011) est également un témoignage de l’espoir suscité par ces épisodes, avant que la contre-révolution ne se déchaîne sous toutes ses formes. Toutefois, là encore, le basculement du personnage principal intervient trop brusquement, et on aurait aimé assister aux différentes étapes de sa mutation, comme on aurait apprécié de voir comment la société avait géré les révolutions si nombreuses du court XXe siècle.
Dans un registre plus émouvant, deux nouvelles se distinguent. L’inédit « Ma petite reine des neiges », hommage à Rudyard Kipling qui, avant de perdre un de ses fils à la guerre, avait subi la disparition de sa fille de six ans : l’expédition polaire est ici prétexte à retrouver le goût à la vie. Quant à « La maladie d’Alice » (2004), rédigé pour l’anthologie de Richard Comballot, elle évoque avec beaucoup de poésie cette terrible maladie qu’est Alzheimer, comme l’avait également fait Claude Ecken dans « La petite fille entre deux mondes » (in Au Réveil il était midi). « Non-absinthe » (2005), hommage au Rayon vert de Jules Verne (elle avait été publiée dans La Machine à remonter les rêves), s’avère par contre moins profond. De même, « Quand il y aura des pommiers sur Mars » (2005) ressemble à un hommage au Ray Bradbury de Chroniques martiennes, mais son cadre uchronique où l’URSS et la Chine ont conjointement dominé la conquête spatiale n’est que brièvement survolé. Quant au « Suicide de la démocratie » (2007), écrit dans le contexte d’inquiétude préludant à l’élection de Sarkozy à la présidence, il est trop court et anecdotique pour marquer.
Toujours au rang des hommages, « Le réducteur des possibilités » (2014) est une évocation par l’absurde de l’imaginaire débordant de Roland C. Wagner. Mais un des plus beaux textes est incontestablement « Le Tigre de la Lune » (2001, dans une anthologie peu diffusée) : on a là une évocation aussi simple que forte de René Barjavel, à travers une plongée dans le lointain avenir et un jeu sur le temps digne du grand écrivain.