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Kull le roi atlante

dimanche 23 juillet 2023, par Maestro

Robert HOWARD (1906-1936)

Etats-Unis, 1929-1967

Bragelonne, coll. « Les Intégrales », 2010, 432 p.

Avant Conan, il y eut Kull. Et s’il est difficile de s’abstraire de l’ombre du guerrier cimmérien, Kull n’est pas qu’un simple prédécesseur de luxe, il présente ses propres spécificités, lui et son monde. Le cadre est en effet bien plus ancien que celui du monde hyborien. On est ici à l’aube des temps humains, une époque qui a vu passer Mu et l’Atlantide, qui a assisté également à la montée en puissance de l’humanité, chassant les anciennes espèces dominantes dans sa recherche consciente ou non d’hégémonie. Comme Conan, l’histoire de Kull nous est contée par Robert Howard à l’aide de touches éparses, mais d’une manière plus linéaire et sommaire, sachant que trois nouvelles seulement sur la dizaine achevées furent publiées entre 1929 et 1930.

« Exilé d’Atlantide », longtemps resté inédit (il date de 1926), le voit encore jeune homme contester les carcans de sa tribu, tourner en dérision ses traditions et ses corsetages religieux, jusqu’à abréger les souffrances d’une femme condamnée au bûcher pour s’être mariée avec un homme d’un peuple ennemi. Kull, épris de liberté mais pas des femmes (une différence notable avec Conan), entame alors sa destinée en totale autonomie (il avait même fait un rêve le montrant roi). On le retrouve dans « Le royaume des chimères », texte plus long et plus abouti, un des meilleurs du recueil, désormais roi de Valusie, une situation visiblement inspirée à Howard par les derniers siècles de l’empire romain et l’incorporation de barbares aux plus hauts postes. Son pouvoir n’est stable qu’en apparence, lui qui fait office de barbare usurpateur sur le trône d’une civilisation à l’ancienneté vertigineuse. Outre cette mise en perspective du temps des mondes édifiés par l’homme, sans commune mesure avec celui des simples et éparses vies individuelles, la nouvelle s’avère passionnante par son intrigue principale. Kull reçoit en effet l’aide d’un guerrier picte, Brule – aïeul du fameux Bran Mak Morn – afin de faire face à une véritable conspiration, ourdie par les hommes-serpents, survivants d’un peuple jadis dominant et que l’on croyait éradiqué. Dès lors, le souverain barbare nage en plein doute : les masques dont s’affublent ses courtisans, ses guerriers, ses conseillers, ne sont-ils que le jeu ordinaire des individus en société, ou l’apparence falsifiée endossée par les créatures reptiliennes ? Une ambiance paranoïaque qui fonctionne à merveille.

« Les miroirs de Tuzun Thune » est à peine moins bon : il y est encore question d’une conspiration contre le roi, impliquant cette fois un ancien sorcier qui éclaire Kull sur la relativité de l’existence et lui fait entrevoir la pluralité des mondes. Les dialogues y sont souvent excessivement ampoulés. « Le chat et le crâne » marque un net recul qualitatif. Kull y est en effet confronté à un chat soi-disant doté de la parole, mascarade déjouée par le conseiller Tu à la fin du récit, mais à l’aide d’arguments qui auraient parfaitement pu être mobilisés plus tôt. Le merveilleux est à l’honneur, y compris lorsque le souverain se rend dans un lac interdit, au fond duquel existe un royaume caché. Autre particularité de cette nouvelle, la présence de Thulsa Doom, antagoniste appelé à une postérité fameuse (il est l’ennemi de Conan dans le film Conan le barbare de John Milius). « Le crâne hurlant du silence » est plus intéressant, Kull s’y rendant dans une forteresse plus ancienne que le temps, au cœur de laquelle une créature matérialisation du silence et par là du vide a jadis été emprisonnée. Une fois de plus, on a droit à une réflexion sur l’immensité du passé, proche des obsessions d’un Lovecraft. Il en est de même pour « Le coup de gong », Kull, victime d’une tentative d’assassinat, y étant confronté à une expérience mystico-cosmique qui semble avoir duré… le temps de quelques secondes.

Certains textes sont plus tangents, dans la mesure où Kull n’y est qu’un nom ou qu’une silhouette lointaine. « L’autel et le scorpion » avec son couple de victimes parvenant à se venger d’un prêtre maléfique en invoquant d’anciens dieux supplantés par les puissances du chaos ; « La malédiction du crâne d’or », où un prêtre similaire au précédent lance une malédiction sur ses ossements. « Par cette hache, je règne ! » est plus connu, tout simplement parce que cette histoire est devenue, sous le nom « Le phénix sur l’épée », la première nouvelle du cycle de Conan. Ici, toutefois, nulle sorcellerie, mais une histoire de mariage impossible entre un noble et une esclave, dont l’un des protagonistes joue un rôle décisif dans la manière dont le complot est déjoué. Le titre de la nouvelle est finalement justifié par le choix de briser une antique loi, manifestation par Kull de cette liberté associée par Howard – non sans excès de simplification – aux mœurs des peuples vivant aux marges de la civilisation. « Les épées du royaume pourpre » reprennent un synopsis similaire, un complot et un mariage contrarié, le texte tirant son épingle du jeu grâce à un climax marquant, des combats épiques en diable. On connaît « Les rois de la nuit », très bon texte, par son inclusion parallèle dans Bran Mak Morn, un crossover savoureux et grandiose.

Les autres éléments proposés dans ce recueil sont des poésies, versions de travail ou fragments d’histoire inachevées. « Lala-ah et Felgar » (titre ajouté à posteriori) décline une autre histoire de mariage impossible, mais l’intérêt est de voir Kull et ses guerriers partir à la poursuite du contrevenant à travers d’autres empires, jusqu’au bout du monde, étendue maudite dont personne n’est censé revenir ; hélas, la nouvelle s’arrête à l’orée de ces lieux excitants. Un bref ensemble de textes inachevés met également en scène Am-ra, un personnage créé au début des années 1920 par Howard, chasseur préhistorique (les Cro-Magnon, pour Howard, sont les descendants des Atlantes et donc de la lignée des Cimmériens) dont le nom allait être réutilisé pour un personnage secondaire du cycle de Kull. « Une genèse atlante » de Patrice Louinet revient justement sur la chrono-bibliographie de Kull, une plongée passionnante dans les arcanes de la création howardienne. On y apprend entre autres que le patronyme de Kull viendrait du « vieux roi Cole », sujet d’une comptine anglaise datant du XVIIIe siècle (et également cité dans le morceau « Musical Box » de Genesis), ou que sa personnalité fut en partie influencée par celle du roi Saul dans l’Ancien Testament. Kull le roi atlante, sans être le volume de l’intégrale d’Howard le plus recommandable, nous dévoile une facette de l’écrivain Howard, marqué par quelques idées forces mais encore en devenir tant la plupart des récits proposés sont souvent bancals.

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