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Marionnettes humaines

samedi 23 mai 2009, par von Bek

Robert A. HEINLEIN (1907-1988)

Etats-Unis, 1951, The Puppet Masters

En 2007, le narrateur, agent très secret d’une agence américaine non moins très secrète de renseignements et de sécurité (la Section) accompagne son patron et une autre agent sur les lieux du signalement d’une soucoupe volante. Alors que les faits semblent vouloir faire croire à un canular, le peu d’attention prêtée par des individus de sexe masculin au sex appeal apparemment aussi dévastateur qu’une bombe H de l’agent Mary permet de révéler une invasion sournoise et insidieuse par des extraterrestres qui viennent se greffer dans le dos des Humains et prennent le contrôle de leurs faits et gestes comme s’ils étaient de simples marionnettes. Le temps d’abattre le scepticisme de la Maison blanche, non sans prise de risque pour le héros, le danger est devenu bien réel et le centre des Etats-Unis est passé à l’insu d’une partie de ses habitants sous le contrôle des envahisseurs qui pénètrent même les médias et un temps les strates du gouvernement. L’opération "Dos nus" permet fort heureusement de mettre un terme à l’avancée ennemies, temporairement malheureusement, car sa reprise mets littéralement à nu tous les Américains sans distinction de sexe.

Ecrit en pleine guerre froide et chasse aux sorcières communistes du maccarthisme, Marionnettes humaines peut bien être une allégorie de la menace communiste d’autant que les parasites ont une conscience collective à l’opposé de l’individualité, la propagation des parasites du roman figurant celle de l’idéologie communiste à l’intérieur de la population américaine. Robert Heinlein ne cache par ailleurs pas dans son roman son peu d’estime pour le régime soviétique. L’ouvrage serait donc une bonne manifestation de l’anticommunisme et de la paranoïa ambiante de l’Amérique du début des années 50, au même titre que L’invasion des profanateurs de Jack Finney, publié quatre ans après, qui n’est d’ailleurs pas sans ressemblance avec l’oeuvre de Heinlein. Il est alors difficile pour quelqu’un un peu au fait du contexte historique de la rédaction de s’arracher à celui-ci et il serait intéressant de savoir ce que penserait de Marionnettes humaines un lecteur ignorant de cela.

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Edition Folio de 2011
Selon l’éditeur, cette édition comprend des passages qui ne figuraient pas dans les éditions françaises antérieures.

Le roman est-il pour autant un ouvrage abondant dans le sens de McCarthy ? Loin d’être alarmiste, et en dépit d’une présentation éditoriale française comme étant un "thriller de science-fiction dans la veine paranoïaque" [1], le roman d’Heinlein adopte un ton qui, s’il n’est pas volontairement comique, est alors ridicule. Dès les premières pages, la Section tourne ainsi en dérision le secret paranoïaque des Agences de sécurité en étant dotée d’entrées pour le moins fantaisistes et dignes de Chapeau melon et bottes de cuir ou pire de Max la menace, comme les lavabos d’une gare. Le narrateur est une caricature de l’homme d’action, pas complètement décérébré cependant, particulièrement porté sur la gente féminine et néanmoins matcho jusqu’au bout du pénis, les ongles n’ayant rien à voir là-dedans. On ne peut manquer de s’inquiéter de sa vision des rapports entre hommes et femmes, notamment quant à la nécessité de l’utilisation d’une bonne gifle afin de soumettre une garce : s’agit-il bien ici d’une caricature ? Ce sont surtout les mesures prises pour contrer l’infiltration extraterrestre qui prêtent à rire franchement puisqu’elles mettent les Américains en sous-vêtements dans la rue et aboutissent parfois à des amputations excessives. Ne faut-il pas y voir une critique des excès du maccarthisme plus qu’un soutien à la chasse aux sorcières ? Avec ces côtés quelque peu ridicules, le ton est davantage au comique qu’au thriller pendant une bonne partie du livre et il est difficile de suivre Jacques Sadoul lorsqu’il évoque une narration très réaliste et dramatique et attribue une grande puissance de choc au roman [2]. Néanmoins, il est vrai que les derniers chapitres appellent à l’écrasement de l’espèce parasitaire et à la libération des "elfes" qu’ils contrôlent, soit un message guère entouré de comédie qui pourrait constituer un appel à un leadership américain mondial pour libérer le monde du communisme.

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Edition PdF de 1995
Intitulé "Les maîtres du monde" pour profiter de la sortie du film de Stuart Orme.

Regrettons enfin que l’édition française, qui a profité de la sortie de l’adaptation cinéma par Stuart Orme en 1994 pour publier le livre avec le même titre que le film, n’ait pas aussi profité de l’opportunité pour publier la version non-censurée parue outre-atlantique en 1990. Elle avait été écourtée de 30 000 mots par l’éditeur d’Heinlein en 1951 parce que très portée sur le sexe : outre une moralité très libertine du héros - qui n’a pas entièrement disparue d’ailleurs - y figurait aussi la perte de tout sentiment sexuel comme conséquence du parasitisme jusqu’à ce que les parasites découvrent la sexualité humaine et entraînent leurs marionnettes humaines dans des orgies publiques retransmises à la télé.


[1cf. Quatrième de couverture de l’édition Denoël dans la collection "Présence du futur" édition 1995.

[2Dans Histoire de la science fiction moderne, 1984, p.182. A noter que Jacques Sadoul ne fait aucune référence au contexte de parution du roman.

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