Accueil > TGBSF > F- > Le frère des dragons

Le frère des dragons

compagnons des autruches

samedi 24 avril 2010, par von Bek

Charles SHEFFIELD (1935-2002)

Etats-Unis, 1992, Brother to Dragons

La lecture de l’excellente préface au Frère des dragons écrite par Gérard Klein [1] rend inutile toute analyse supplémentaire du roman de Charles Sheffield, sans pour autant trop dévoiler de l’histoire. A se demander même pourquoi je continue d’écrire...

Au XXIe siècle du Frère des dragons, les effets pervers du système économique libéral ont fini par ne plus pouvoir être ignorés et par déboucher sur un mécanisme de crise économique grave dont la brutalité et la soudaineté - mais Sheffield n’est pas très précis quant aux mécanismes - lui ont valu le nom de Grande Cassure par ses contemporains. C’est dans ce monde que nait un soir de Noël au début du roman son héros baptisé par l’équipe médicale Job Napoléon Salk et aussitôt abandonné par sa junkie de mère. Le tas de fumier de ce nouveau Job est d’abord une ville sinistrée par le chômage, la drogue et le crime mais aussi un monde débordé par les ordures qu’il produit et dont il se débarrasse dans des D.E.N.T. (Destruction et Elimination des Déchets Nucléaires et Toxiques) qui alimentent un nouvel imaginaire. Job grandit dans un orphelinat jusqu’à sa dixième année où son univers austère mais heureux bascule une première fois. Balloté et en quête d’un abris, Job survit grâce à ses propres règles de sécurité, la générosité de quelques uns et son talent quasi-glossolalique mais finit vers ses vingt ans par se faire alpaguer par les services de sécurité qui protègent les Cent Princes, une oligarchie ploutocrate qui a maintenu son niveau de vie, au mépris des conséquences, et qui n’a pas intérêt au changement. Or, le responsable de cette sécurité est persuadé qu’il se trame quelque chose dans la DENT du Nébraska, ironiquement baptisé Xanadu. Qui de mieux adapté que Job Napoléon Salk pour aller voir sur place ?

Ainsi que l’explique Gérard Klein au début de sa préface, Le frère des dragons envisage trois problèmes essentiels : « celui des conditions de l’injustice sociale et de la plus radicale inégalité des chances, produites par un système politique et économique hypocrite, celui d’une dégradation générale de l’environnement engendrée par un égoïsme aussi myope que généralisé et qui caractérise aussi bien les sociétés libérales que les régimes totalitaires, celui enfin de la responsabilité des scientifiques dans la société et du procès antiscientifique qui leur est fait d’avoir provoqué ce qu’ils n’ont que rendu possible. ». Ce qui est hallucinant c’est que Charles Sheffield y soit parvenu en si peu de pages (314 pages dans l’édition LDP) : d’où un roman bien rythmé dans lequel le lecteur n’a pas le temps de s’ennuyer entre les tribulation de Job et sa compréhension progressive du monde dans lequel il vit. Sans doute cette relative brièveté doit elle beaucoup à l’issue finale du livre : à la fois formidable parce que rare et malheureusement douteuse parce que les impacts économiques qui doivent en découler selon l’auteur ne me semblent pas aussi logiques qu’il a pu le penser. Difficile d’en dire plus sans dévoiler la chute finale mais disons que l’effet recherché est le changement.

Chose terrible, quoiqu’écrite en 1992, au sortir de l’ère Reagan, alors qu’une prise de conscience se manifestait quant aux problèmes mêmes abordés dans le roman, ces derniers sont encore plus d’actualité aujourd’hui en 2010. La situation évolue bien évidemment moins vite dans la réalité que sur le papier. Toujours est-il que Charles Sheffield a dû éprouver une déconvenue avec l’élection de George W. Bush à la présidence des Etats-Unis en 2000. Il n’aura pas eu le malheur d’assister à sa réélection, mais Gérard Klein a raison : tout est un problème de répartition, qu’il s’agisse des bénéfices économiques comme du carbone et de l’uranium. Tout le débat est de savoir comment procéder à une nouvelle répartition.


[1Elle est disponible ici sur le site Quarante-deux.

Un message, un commentaire ?

Forum sur abonnement

Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d'indiquer ci-dessous l'identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n'êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.

Connexions'inscriremot de passe oublié ?