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La Face cachée du désir

dimanche 16 juillet 2017, par Maestro

Philippe CURVAL (1929-2023)

France, 1980

La Face cachée du désir est un space opera, tout comme son successeur direct, L’Odeur de la bête, dans lequel Philippe Curval aborde une problématique qui court tout au long de son œuvre, celle de l’altérité, de la compréhension et de l’incompréhension de l’autre. Le roman s’articule en trois textes distincts, reliés par les carnets de Garric, un des Terriens connaissant le mieux la planète Chula puisqu’il y a passé une partie de sa vie. Jugeant la forme romancée plus apte à atteindre une certaine vérité, une certaine authenticité, Garric nous présente des fragments de vie des Chulies, les extra-terrestres humanoïdes habitant la planète.

Dans « Les roses sans odeur ont une odeur de pomme », on assiste à la transhumance d’un convoi de Chulies, passant d’Ouest en Est afin d’y trouver des « captives », c’est-à-dire des femelles qui jetteront leur dévolu sur certains mâles de l’équipée et repartiront avec eux faire souche à l’Ouest. Pour cela, il est nécessaire de traverser l’orhide, une ceinture de glace qui enserre toute la planète, et dans laquelle la sublimation est particulièrement proche. Les Chulies vivent en effet dans un monde fait de traditions et de croyances, un univers livré à l’imaginaire, dans lequel les êtres ne meurent pas, mais se subliment s’ils perdent contact avec le sol. Cette première nouvelle voit Pieri, un jeune chulie, franchir un certain nombre de rites initiatiques afin de devenir adulte, et finir par découvrir sa véritable nature, celle d’un humain né dans le corps d’une chulie… Avec « Ne serait-ce qu’un festin de plus ? », nous suivons Polonius, l’oncle mentor de Pieri, jadis élevé par les humains, désormais sollicité par ces derniers afin de les aider à préparer le terrain à une colonisation pacifique de Chula. Sa mission consiste tout simplement à convertir à la foi chrétienne les Chulies, afin de leur faire perdre leur attachement à l’individualité au profit d’une uniformité facilitant leur acceptation de la domination. Semblant d’abord rencontrer un succès certain dans sa tâche, Polonius est finalement confronté à Tatila, qui n’hésite pas à faire de son corps un festin à partager, afin de ramener les Chulies dans le giron de leurs traditions. Enfin, « Derniers regards au-delà du spectre » conclut l’ensemble en se centrant cette fois sur les lendemains de l’échec final des Terriens, avec La Rida, mère de Pieri, qui cherche à donner un nouveau sens à son existence, désormais privée des membres de sa famille à l’exception de son petit dernier, qui sera également son passeur via une relation sexuelle libre et incestueuse.

Sur ce dernier point, on sent tout ce que La Face cachée du désir entretient de liens avec l’esprit des années 68, néanmoins, c’est avant tout du Curval pur jus. Au-delà de la condamnation d’un colonialisme dont l’impérialisme s’exerce jusque sur le langage utilisé, on y retrouve en effet l’éloge de la liberté et de l’épanouissement qui ne peut être d’abord qu’individuel (chacun des principaux textes est introduit par une citation de Max Stirner, chantre de l’anarchisme individualiste, ce qui n’a évidemment rien d’un hasard), la critique des religions [1] (via un retournement cocasse de la communion) et d’une certaine technophilie aveugle propre à nos sociétés industrielles et technocratiques, qui bloque toute poésie du quotidien [2], le doute sur la révolution (avec le sacrifice de Tatila, révolution se dévorant elle-même). Mais aussi bien les Terriens que les Chulas, avec leur anarchisme primitif, n’incarnent aucunement un idéal à suivre en l’état, cette déclinaison de l’opposition nature/culture ne présentant justement pas de solution toute faite, simplement des éléments de réflexion à saisir.


[1« En même temps surgissaient en lui des images de répression, d’inquisition propres à une Eglise forte, telle que les humains voulaient l’implanter. », p.128.

[2« Ce principe de relativité semblait inconnu des Terriens qui ne savaient dialoguer avec l’imaginaire qu’à travers la technologie. », p.105. A l’inverse, si les Chulies parviennent à vivre de manière finalement surréaliste, c’est en bridant les rêves quotidiens, autorisés durant quatre nuits, ce choix ayant pour effet d’accroître la force de l’inconscient, lui permettant ainsi d’agir sur le réel.

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