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Latium
dimanche 27 novembre 2016, par
Romain LUCAZEAU
¨France, 2016
Denoël, coll. "Lune d’encre", 2 vol.
Latium, vaste fresque en deux tomes d’un auteur français dont c’est le premier roman, après quelques expériences en tant que nouvelliste, est une nouvelle démonstration, après les succès que l’on connaît de Laurent Genefort, ou l’essai plus récent de Romain Benassaya avec Arca, de la vigueur du space opera à la française. L’inspiration de Latium, comme son nom l’indique, est à rechercher avant tout du côté de l’Antiquité, et à bien des moments, on est en pleine transposition des mythes antiques et des épopées tragiques à un cadre véritablement cosmique. Il faut dire que la grande originalité de cet univers est qu’il repose sur une uchronie. Pour des raisons que l’on ignore, l’empire romain a survécu jusqu’à la fin de notre XVIIIe siècle (selon le compte chrétien), avant que le système républicain ne fasse son retour suite à une révolution en… 1789 ! Par la suite, la romanité est devenue mondialité, et c’est elle qui a présidé à la conquête de l’espace et à la terraformation –ratée– de Mars.
Dans cet univers, l’humanité a totalement disparu à la suite d’un mal mystérieux, l’Hécatombe. Elle n’a laissé derrière elle que des intelligences artificielles, désormais orphelines, mais toujours dépendantes de leur programmation initiale, le Carcan (on reconnaît clairement l’empreinte des lois de la robotique d’Asimov). Ces dernières ont élargi l’espace initialement colonisé par l’homme, dirigé de l’Urbs. Néanmoins, la situation a changé lorsque les machines pensantes ont découvert l’existence d’une autre espèce biologique intelligente, dont l’expansion menaçait à terme la Terre des origines. Empêchées par le Carcan de s’en prendre directement à ces extra-terrestres, les IA ont décidé de supprimer toute une série de systèmes stellaires afin de présenter une vaste zone d’espace sans point de relais possible, une forme de protection baptisée Limes.
L’intrigue débute lorsque Plautine, une des IA maîtresses, incarnées sous la forme de gigantesques nefs spatiales, capte un signal émanant d’une autre origine que celle des ennemis, nouveaux barbares. Sortant de son sommeil millénaire, elle met en branle tous ses programmes : car l’originalité du propos de Romain Lucazeau, c’est d’avoir parmi ses personnages des programmes informatiques, tellement autonomes qu’ils en ont acquis une véritable personnalité, et nourrissent parfois des dissensions entre eux ou avec leur maîtresse. Afin de pouvoir faire face à l’origine de ce mystérieux signal, Plautine décide de renouer avec un ancien allié, Othon. Ce dernier, exilé aux frontières de l’univers connu, s’était lancé dans la terraformation d’un monde, sur lequel il veillait au développement d’une race d’hommes-chiens, moyen de contourner les contraintes du Carcan. C’est l’un d’entre eux, Eurybiadès, assoiffé de liberté et de nouvelles aventures, avec sa femme, la brillante Photis, qui va diriger un détachement de son espèce chargé d’accompagner Othon et de rejoindre Plautine.
Ce saut dans l’aventure l’amènera à se lier à une Plautine bis, création semi biologique, semi artificielle, qui offre au lecteur une fenêtre vers les événements ayant précédé l’Anabasis, l’exode des IA hors du système originel laissé en quarantaine après l’Hécatombe : ses souvenirs s’arrêtent en effet à ce tournant majeur, et s’offrent à nous par le biais de rêves ou de récits qu’elle conte, telle une aède post-moderne ou hyper-moderne… Le lecteur du second tome découvrira encore davantage cet univers dans ses profondeurs, de l’Urbs, capitale décadente des Intelligences, riche en complots, à Mars, où Plutarque, autre IA, a pris les proportions d’un véritable monde tout en se faisant conservateur du patrimoine technologique des humains. Les affrontements deviennent dantesques, s’apparentant à une véritable gigantomachie sur la planète rouge, justement, et les personnages se voient poussés dans leurs retranchements, contraints d’aller jusqu’au bout de leurs souvenirs et de leurs secrets. Surtout lorsque ces derniers touchent à l’origine même de l’Hécatombe et à la possible survie d’un Dernier Homme…
Latium ne manque pas d’ambition, et passé un début un peu long à se mettre en place, du fait de nombreuses descriptions initiales et d’un style privilégiant le classicisme, il suscite sans difficulté l’intérêt, avec toujours cette impression de lire une aventure antique revisitée à l’aune de la conquête spatiale. Les thèmes abordés ne sont d’ailleurs pas d’une originalité démesurée : les intelligences numériques, par exemple, étaient déjà largement mises à l’honneur dans les romans d’Alastair Reynolds. C’est en réalité la quête des origines qui s’avère être un des éléments les plus attrayants, même si j’y vois en partie l’ombre de Fondation foudroyée / Terre et Fondation de qui vous savez (l’incorporation d’une espèce aquatique sur Europe, qui ressemble à un clin d’œil à Arthur C. Clarke, n’apparaît pas indispensable au déroulé de l’intrigue). Et surtout, au fil de la lecture, on se retrouve immergé dans un imaginaire terriblement convaincant, au prix de quelques longueurs.
Les personnages sont longuement présentés, facilitant l’empathie et l’identification (Othon, tout particulièrement) ; les batailles spatiales sont décrites dans leurs détails fins (on les vit de l’intérieur, par les nombreux acteurs qu’elles impliquent) et gardent dans le même temps une forme d’ampleur ; la dimension tragique, enfin, donne l’impression de lire du Shakespeare projeté dans un cadre cosmique, et se double de références régulières au théâtre, en une forme de mise en abyme. Autant d’éléments types de Latium, un roman somme qui fera date. Car qu’est Latium, au final, sinon une immense fresque sur la perte, l’absence, et les moyens de la surmonter ? Un monde et une histoire du futur (dictature écologiste, guerre sans pitié contre une IA sans contrôle, ou autocratie d’un sauveur devenu empereur machine, dans une ambiance qui n’est pas sans évoquer L’Empereur dieu de Dune…) que son auteur pourra exploiter pendant plusieurs années, ainsi qu’il a déjà commencé à le faire en proposant une nouvelle préquelle dans le n°84 de Bifrost…