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Et si la France avait continué la guerre...
Essai d’alternative historique
dimanche 10 décembre 2017, par
Jacques SAPIR (1954-), Frank STORA (1952-) et Loïc MAHE
France, 2010-2012
Tallandier, 2 vol. ; 2010, 588 p. et 2012, 720 p.
Décidément Internet s’avère une véritable pépinière pour les projets uchroniques. A l’instar du développement de l’univers de 1632, c’est sur la toile qu’est né de discussions le projet devant aboutir à 1940, et si la France avait continué la guerre .... Mais leurs concrétisations se révèlent très différentes, et pour cause, car à l’origine du projet français repose une très sérieuse discussion scientifique cherchant à utiliser l’histoire alternative, que les historiens anglo-saxons connaissent et pratiquent depuis longtemps et sur lequel leurs homologues français ne se sont penchés que depuis très récemment, comme en témoigne Pour une histoire des possibles. Analyses contrefactuelles et futurs non advenus (Seuil, 2016) ou le très récent hors-série du très sérieux magazine Guerres et histoire (décembre 2017) consacré à l’uchronie militaire. L’un des rédacteurs-en-chef, Michel Goya, a d’ailleurs rédigé la préface de 1940. Donc, en 1940, et si la France avait continué la guerre ?
Il faut d’abord louer la masse de documentation réunie par une équipe internationale de passionnés pour l’exercice et dont rendent compte les bibliographies finales [1]. Vraisemblance oblige. Mais il est alors regrettable que l’ouvrage qui en résulte ne s’appuie pas sur un appareil critique explicatif des choix... ce qui aurait sans doute rendu l’ouvrage impubliable ou illisible pour beaucoup. Le lecteur devra donc se reporter soit à la postface du deuxième volume, soit au site http://1940lafrancecontinue.org/ pour comprendre les choix. Lesquels ne sont pas dénués d’arrière pensée idéologique puisqu’on y voit défendu l’intérêt d’une intervention nette de l’Etat dans l’économie, inévitable en temps de guerre, mais que certaines références prolongent dans l’après-guerre. Il y a dans ces deux livres une certaine nostalgie de l’étatisation de l’économie française comme elle s’était mise en place durant les trente glorieuses. Peut-être faut-il y voir la patte d’un Jacques Sapir, économiste dont les théories se montrent critiques de la mondialisation libérale en prenant la défense de la souveraineté de l’Etat et du modèle économique gaulliste.
Bien que le point de divergence adopté, la décision du président du Conseil Reynaud de poursuivre la lutte et la mise sur la touche du vice-président du conseil Pétain, est d’une pertinence aussi réaliste que subtile, je doute cependant de l’utilité scientifique de l’exercice, car au-delà de quelques jours que vaut la réalité des événements uchroniques mise à part pour la logique expliquant la prise de certaines décisions ? C’est dans le forum et ses débats que réside cette scientificité. Autre problème : qu’est ce qui décide que telle ou telle tentative allemande pour passer la Seine, la Loire ou quelque autre cours d’eau, sera une réussite ou un ratage - et ils en ratent beaucoup - ? Que la torpille lancée depuis un avion ou un sous-marin, qu’il soit italien ou allié ratera ou touchera (et où ?) ? Que tel assaut sera un succès ou un échec et à quel degrés ? La procédure ayant présidé à la résolution de ce genre d’événements reste inexpliquée dans les livres.
Le premier volume s’étend de juin à décembre 1940 et voit mis en scène principalement les combats visant à retarder l’ennemi tandis que se déroule ce que les auteurs ont intelligemment baptisé « le Grand Déménagement », suivis des opérations aboutissant à la prise de contrôle de la Sardaigne par les alliés. Le deuxième volume prend immédiatement la suite du premier et s’achève au début de l’invasion de l’URSS par l’Allemagne en juin 1942, soit avec un an de décalage sur l’histoire, non sans qu’entre ces deux dates Corse, Sardaigne et Grèce aient été envahies et que le Japon n’entre dans la danse.
Alors que 1940... est découpé en chapitres couvrant des périodes inégales mais où sont passés en revue les événements sur différents sujets jour par jour, 1941-1942... est découpé en chapitres correspondant chacun à un mois calendaire, mais dont le découpage intérieur est géographique. Cette différence d’organisation n’empêche pas que les deux volumes constituent bel et bien un projet initial global, comme tant à l’indiquer la présence de la postface dans le deuxième tome.
Et si la France avait continué la guerre ... tient plutôt du loisir et du patriotisme nostalgique de ce qui aurait pu, et même ce qu’on aurait aimé que cela soit, que de la science historique. Remplacer une honte nationale par la fierté nationale. Bâti sur un récit argumenté des décisions et détaillé des combats - le lecteur passionné fera bien de se doter de cartes -, les deux livres se lisent très bien pour qui aime ce genre de récit absolument pas romancé en dépit de son caractère imaginaire et qui a l’habitude de fréquenter les livres d’une histoire-bataille, sans la connotation péjorative qu’une école historique a malheureusement voulu donner à cette expression, ou les revues de vulgarisation bien charpentées aimant se pencher sur les matériels. Le lecteur appréciera la reconstruction argumentée et intelligente au rythme haletant et truffée de références et de clins d’oeil.
[1] Nonobstant une erreur quant au lien de parenté entre Henri et Raymond Poincaré (2010, p.529).