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La Ménagerie de papier

dimanche 10 décembre 2017, par Maestro

Ken LIU

Etats-Unis, 2004-2014

Le Bélial’, 2015, 448 p. et collection Folio SF, 2017, 512 p.

Ken Liu, auteur étatsunien d’origine chinoise, s’est fait remarquer dans l’hexagone via un certain nombre de nouvelles ou novellas, parmi lesquelles L’Homme qui mit fin à l’histoire. Il n’est donc guère étonnant de voir un recueil de ce type de textes, inédit sous cette forme, être enfin publié, avant sans doute des traductions de romans. Toutefois, cette édition en poche souffre d’un gros défaut : les titres originaux et surtout les dates de publication, en anglais et en français, ne sont jamais précisés [1].

S’il y a un thème qui semble fédérer nombre d’histoires de Ken Liu, c’est bien la mémoire. Dans « Renaissance », des extra-terrestres ayant envahi la Terre offrent de nouvelles vies aux humains, mais au prix de l’effacement de certains de leurs souvenirs ; le personnage principal finira par rejeter ce refoulement, non sans s’interroger sur la question de la vengeance. « Emily vous répond » aborde les choses sous l’angle humoristique, celui d’une rubrique de courrier des lecteurs interrogeant la possibilité de gommer les déceptions amoureuses, engendrant de la sorte de véritables imbroglios. « Trajectoire » en constitue d’une certaine manière le pendant inverse. La nouvelle relate en effet la vie de Lena, ou plutôt ses différentes vies, permises par l’invention d’un traitement de rajeunissement perpétuel. L’interrogation sur cette dernière demeure toutefois partielle, et le texte vaut davantage par la forme d’art mise en scène, consistant à travailler des cadavres conservés en révélant tout ou partie de leur anatomie. La nouvelle éponyme est à mettre à part. On a là sans doute le récit le plus personnel de l’ensemble, à travers la vie et les souvenirs d’un sino-américain, dont le désir d’intégration dans la vie du pays paternel l’éloigne de sa mère chinoise, avant qu’il ne redécouvre, après la mort de celle-ci, les origami magiques qu’elle fabriquait pour lui enfant… Les touches de fantastique transcendent encore davantage la puissance émotionnelle de ce très beau texte.

L’intelligence artificielle est l’autre thème clef de La Ménagerie de papier. « Les algorithmes de l’amour  » dévoilent ainsi les affres d’une créatrice de poupées androïdes extrêmement élaborées, qui ne surmonte pas le deuil de son premier bébé et finit par assimiler programmation informatique et destinée humaine. «  Faits pour être ensemble » aborde un problème crucial, celui des assistants numériques et de notre dépendance croissante à leur égard. Toutefois, Ken Liu fait preuve, comme cela lui arrive parfois, d’un didactisme un peu pesant, et surtout, le dénouement de son récit cultive l’ambiguïté, l’espoir d’une utilisation finalement raisonnée et raisonnable de ces instruments de la part des utilisateurs et des entreprises, l’impression persistante de rester au milieu du gué. « L’Oracle » peut être rapproché de la même problématique. Le procédé permettant de découvrir une scène de sa vie future, et de repérer ainsi à l’avance des meurtriers (on pense bien sûr à Minority Report), est ici contourné, au profit d’un éloge de la liberté, malgré tout, émancipation en actes vis-à-vis des machines et de leur programmation.

L’exploration spatiale n’est pas oubliée. « Le peuple de Pélé » reste relativement classique, de par son évocation de l’occupation d’une exo-planète et surtout son dépassement des nationalismes rances. « La forme de la pensée » est axé sur l’ethnologie et la découverte d’une autre espèce, d’un autre langage, à la manière d’une Ursula Le Guin, beau message d’ouverture à l’altérité. «  Les vagues » explore plutôt l’idée d’évolution de l’espèce, passant de la mortalité à l’immortalité organique (on retrouve la découverte de « Trajectoire »), puis à l’immortalité numérique. Intéressant, mais un rien bancal, manquant en partie de crédibilité suffisamment développée. Mais le récit le plus beau est clairement « Mono no aware ». Réflexion philosophique sur l’existence et la place de chacun, sur une certaine sérénité orientale (ici celle du Japon), qui n’oublie pas la narration d’une histoire familiale terriblement touchante, voilà un texte fort, majeur. Car « Ce sont les places que nous occupons dans l’existence des autres qui nous définissent. » (p. 421).

Mais l’écrivain sait également davantage surprendre. « Le golem au GMS » est ainsi une pochade étonnante, confrontation entre une jeune fille chinoise découvrant qu’elle est d’ascendance juive, et Yahvé en personne, ce dernier souhaitant éviter la contamination d’une planète ouverte à la colonisation par des rats embarqués à bord d’un navire spatial… Assurément le récit le plus amusant du recueil. « La plaideuse » se rapproche des enquêtes du juge Ti, puisque situé dans la Chine impériale, avec une enquêtrice cherchant à faire la lumière sur un meurtre ; la science joue un rôle certain dans ce policier historique fort réussi. « Le livre chez diverses espèces » n’est pas sans évoquer Stephen Baxter, avec les déclinaisons de la forme livre, entre l’infiniment grand et l’infiniment petit, au sein de plusieurs vies extra-terrestres : fascinant. Quant à « L’erreur d’un seul bit  », c’est une histoire très humaine, profondément touchante, qui met en scène le rôle du hasard, du petit grain de sable macrocosmique pouvant gripper et conditionner notre existence à l’échelle microscopique.


[1NDLR : en fait la plupart des textes datent de la période 2011-2014, à l’exception de « Renaissance » (Reborn, 2004). A noter aussi qu’un texte a été publié directement en français dans Galaxies en 2013. Il s’agit de « Mono no aware », comme son titre ne le suggère pas.

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