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Rêves de sable, châteaux de sang

dimanche 8 décembre 2019, par Maestro

Yves FREMION (1947-)

France, 1986

J’Ai Lu, coll.« Science-fiction », 224 p.

Dans les années 70 et 80, Yves Frémion fut une des chevilles ouvrières de la science-fiction française, avant de devenir un militant écologiste engagé. En plus de son rôle capital d’éditeur et d’anthologiste, il se révéla un auteur bien de son temps, à la plume fine et raffinée, tranchante également. Après Octobre, octobres, son premier recueil paru en 1977, Rêves de sable, châteaux de sang rassemble onze nouvelles, dont pas moins de quatre sont totalement inédites, datant de la première moitié des années 80.

Quatre déjà publiés dans divers supports appartiennent aux années 68 [1], et s’en ressentent assez fortement. Le texte éponyme, d’abord, particulièrement esthétisant et poignant, dans son tableau de ces deux peuplades littorales, celle des Constructeurs, qui bâtissent un château de sable à taille humaine invariablement détruit par la marée, et celle des Verbeurs, dont la quête vise à pouvoir comprendre le sens de cet inlassable recommencement maritime. Tous attendent le retour de Rêvo, dieu ou messie, depuis un temps déjà lointain… Dans cette fable poétique, comment ne pas distinguer la métaphore d’un horizon révolutionnaire qui s’éloigne, en cette fin des années 70, aussi bien pour les militants de terrain que pour les doctrinaires ou théoriciens divers, le dénouement du récit semblant plutôt privilégier le plaisir hédoniste au détriment de la libération sociale.

Dans « Lente chaleur de la chair », la libération sexuelle est également première, à travers des considérations impressionnistes sur une société terrestre ou extra-terrestre (excellente idée des maquillages comme moyen de communication, digne de Jack Vance) et une célébration du plaisir sexuel, dont le partage sensitif bat ici en brèche la compétition et la jalousie. « Nous n’irons plus à Yecub, les phanyls sont coupés », qui figurait à l’origine dans Ciel lourd, béton froid, est un mélange entre l’idéologie du flower power (dont les limites sont clairement énoncées) et Theodore Sturgeon, ces nudistes dotés de pouvoirs télékinésiques, d’abord combattus, semblant bien capables de renverser le monde. Un peu court, cette nouvelle est bien engagée dans la contestation de l’ordre dominant. Il en est de même pour le délirant «  Belle viande, dis-moi qui t’habite… » (sic – il fut publié dans L’Echo des savanes !), exposé presque en temps réel de l’élaboration d’un scénario de dramatique télévisuel à l’uchronisme débridé, et qui est surtout le moyen de mettre en accusation la société du spectacle.

« Le soviet de Retrograd », publié dans C’est la Lune finale, est un autre pamphlet fictionnel, qui dénonce avec un certain à-propos la récupération de l’idée d’autogestion par des politiciens sans vergogne, manipulés par les sphères économiques, et qui parviennent, via une dictature temporaire, par en faire un repoussoir idéal face à un libéralisme désormais sans adversaire de taille. Tout aussi pessimiste se révèle « La belle au planeur dormant », qui réactive la peur du suicide collectif et nucléaire, mais s’impose comme une histoire touchante avec son couple improbable, lui s’occupant d’elle, au cerveau profondément atteint, puis de sa fille, la métaphore du conte de fée étant une fuite du réel, au sens premier du terme. Pour le versant optimiste, il y a « Les dévorés », un texte aux multiples références -le joueur de flûte de Hamelin en particulier- qui fait l’éloge de la révolte violente des opprimés, des marginaux, et de leur recherche d’un autre monde, meilleur et nouveau.

Parmi les inédits, « Cosmosculpture » est également marqué par l’esprit 68. Voilà en effet un artiste qui prône de nouvelles formes d’art, à l’ambition démesurée mais qui se veulent également accessibles à tous. Ses sculptures spatiales ont tout pour faire rêver, malgré une dimension un peu trop technique, et sa toute dernière œuvre déploie un romantisme exacerbé un brin désuet. « Lettre à mon fils » est plus décevant, anecdotique pour tout dire, ce courrier adressé à un père pour son fils encore à naître s’avérant à la fois trop allusif et trop peu empathique. « Fille de joie, fille de tristesse », quant à lui, est dans un entre-deux, cet itinéraire d’une jeune femme qui va d’avanies en tragédies apparaissant à la fois excessif et émouvant, d’autant que son dénouement tend à le classer dans un fantastique non dénué de charme tenace. « Sexe-duo, bouche du bas » est par contre clairement à ranger dans la science-fiction, le personnage principal étant un hybride d’homme et de voiture, ou d’humain greffé à son véhicule, dont la vie n’est finalement guère différente de celle des autres, en proie à l’intolérance ou aux peines de cœur et de corps… Sympathique sans être incontournable, le sexe y étant une fois de plus central.


[1NDLR : avec tous les univers parallèles, ça fait un paquet d’années 1968...

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