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L’âme de ténèbres

samedi 4 juin 2011, par Maestro

Emmanuelle MAIA (1964-)

Suisse, 2011

Black Coat Press, coll. "Rivière blanche", 352 p.

ISBN : 978-1-61227-006-7

Emmanuelle Maia est une auteure suisse que Rivière blanche avait déjà publiée dans l’anthologie Plumes de chats (sa contribution est d’ailleurs reprise dans ce recueil). L’âme des ténèbres est un recueil autrement plus consistant, comprenant le roman éponyme, une douzaine de nouvelles, une biographie , une bibliographie [1], ainsi qu’une postface de Jean-Claude Dunyach. Il faut dire que l’écriture d’Emmanuelle Maia entretient une certaine proximité avec celle de ce dernier : on y retrouve le même goût de la langue, du vocabulaire soignée, des phrases ciselées, des images aussi fortes qu’inattendues et surtout la même sensibilité à l’égard de leurs semblables. Les personnages sont ainsi fouillés, leurs motivations psychologiques convaincantes.

Le roman L’âme des ténèbres s’inscrit dans un fantastique mêlant traditions et nouveautés, à l’image de celui de Micky Papoz dans la même collection (Au seuil de l’enfer). Un établissement genevois consacré aux polyhandicapés se retrouve au cœur de la tourmente suite à une série de meurtres particulièrement atroces. L’enquête menée par la police, à commencer par le superstitieux Gino Morandi et son comparse Serge Deschamps, va les mener sur la piste d’un passé presque centenaire, marqué du rêve nourri par une aristocrate dépressive d’une fuite hors de son conformisme social étouffant et dépassionné. L’intrigue est efficacement développée, sans longueurs, et en parvenant à conserver une part d’énigme jusqu’au dénouement, en forme de métaphore du palimpseste de temporalités sur lequel notre réalité est bâtie. Bien qu’Emmanuelle Maia reprenne d’une façon un peu trop classique l’idée de l’exorcisme pour chasser les fantômes du passé, on appréciera son ode à la différence, avec ces polyhandicapés campés avec beaucoup d’empathie, et pourvus de pouvoirs télépathiques qui ne sont pas sans évoquer Les plus qu’humains de Theodore Sturgeon.

Douze nouvelles complètent ce roman. Plusieurs sont dominées par l’ombre de la Faucheuse. « La route » joue de manière saisissante sur le contraste entre l’innocence et la fragilité souvent associées à la vieillesse et le terrible passé que se remémore ce vieillard, épaulé par cette image de la route comme reflet de la vie. « Nadia », plus science-fictive, vaut surtout par sa chute, terriblement cynique et cruelle, tout comme « Deux fenêtres sur ton âme », ces textes étant reliés par un même thème, celui de l’amour égoïste. Avec « L’effet papillon », on est confronté à un avenir désespéré, proche de celui du film Les fils de l’homme, surtout marquant par son évocation touchante autant que brève d’un Alzheimer précoce. Plus engagé, « La conscience des puces » est un habile récit de mise en garde face au risque de l’appauvrissement du langage et donc de la pensée, un éloge aussi du papier face au tout informatique. « Sombres desseins » ne relève quant à lui ni du fantastique, ni de la SF, puisqu’il s’agit d’une évocation aussi violente que crue du viol couplé à l’inceste. « Post-partum » est bien plus ambigüe, cette histoire proche de La malédiction et du Village des damnés se révélant glaçante dans son extrapolation d’un baby blues surdimensionné. Dans ce panel hautement recommandable, les nouvelles plus faibles sont finalement rares : la dystopie relativement classique de « Le N7 » et sa société du risque zéro, « L’adoption » et son inversion finalement relativement prévisible, la sympathique mais un peu courte histoire d’amour entre un piano et un pianiste (« Accords ») ou « L’étoile filante », conte à la joliesse un peu naïve.

Un recueil de qualité, donc, et une auteure à suivre avec soin, tant sa plume transmet d’humanité et de générosité.


[1Elle est complétée par « Désesperrances », un texte autobiographique sur les difficultés de se faire publier, Emmanuelle Maia ayant dû attendre quinze ans, quinze ans de patience et surtout de travail.
«  (…) une tête de cerf le fixait. Ses yeux artificiels donnaient à l’animal une expression étonnée, comme surpris de sa propre mort, à moins que ce ne soit le fait de se retrouver dans un tel décor après la liberté des grands espaces et les parfums des sous-bois. L’enfer, ce devait être ça, médita le flic. Avoir connu les odeurs étourdissantes des forêts pour se retrouver cloué à une paroi, à inhaler pour l’éternité des nuages de nicotine et des vapeurs d’alcool », pp.149-150.

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