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INTERSTELLAR
samedi 22 novembre 2014, par
Christopher NOLAN (1970-)
Etats-Unis, 2014
Matthew McConaughey, Anne Hathaway, Jessica Chastain, Mackenzie Foy, Topher Grace & Michael Caine
Avec Interstellar, Christopher Nolan, l’un des réalisateurs les plus en vue d’Hollywood, fort en particulier de sa trilogie Batman, semble avoir voulu réaliser son 2001. Disons qu’il se rapproche davantage du Solaris de Steven Soderbergh que du chef d’œuvre de Stanley Kubrick, ce qui est déjà une jolie réussite en soi.
Au XXIe siècle, l’humanité a abandonné toute ambition spatiale, pour se recentrer sur les enjeux bien terrestres. Il faut dire que les bouleversements climatiques semblent s’être aggravés, provoquant guerres et famines. Le regard qui nous est offert, celui d’une région des Etats-Unis, permet de mettre l’accent sur le nécessaire retour à l’agriculture qui s’est opéré et sur les tempêtes de poussière qui le rendent d’autant plus ardu. Cooper, ancien pilote de la Nasa, est de ces agriculteurs, s’efforçant de survivre avec son beau-père Donald et ses deux enfants, Tim l’ainé et Murphy. Cette dernière avertit son père de phénomènes anormaux se déroulant dans sa chambre, phénomènes qui permettent au père et à sa fille de déchiffrer des coordonnées géographiques et de découvrir une base secrète de la Nasa. Passons rapidement sur les éléments à la cohérence discutable (le négationnisme de la conquête lunaire frise le ridicule, et pourquoi les responsables de la base n’ont-ils pas contacté Cooper plus tôt ?), car après ce début plutôt lent d’exposition d’une situation terrestre repoussante, les enjeux se font cosmiques.
La Nasa, par le biais du professeur Brand en particulier, prépare en effet un projet de sauvetage de l’humanité. Grâce à un trou de ver d’origine inconnue apparue dans les environs de Saturne, que l’on présume téléguidé par des extra-terrestres, plusieurs astronautes ont été envoyés individuellement dans une autre galaxie, offrant des planètes susceptibles de pouvoir abriter une vie humaine. Désormais, il convient d’aller récupérer les données ainsi récoltées, voire, en cas d’impossibilité de retour sur Terre, d’ensemencer le monde le plus fertile grâce à des noyaux humains préalablement congelées. C’est la mission de la station Endurance, à bord de laquelle prennent place Amelia Brand, la fille du professeur, mais aussi Cooper, qui fait donc le choix d’abandonner ses enfants pour une durée indéfinie. Parvenus de l’autre côté de l’interface, l’expédition va connaître bien des aventures, semblant s’éloigner à jamais de la Terre alors qu’elle n’en a finalement jamais été aussi proche…
Interstellar est un film de science-fiction, fait par un amateur incontestable de science-fiction, et qui séduira les fanas du genre. Les jeux sur le temps, en particulier, basés sur la relativité modifiée de par la proximité d’un trou noir, procurent toujours à la fois de la sidération et de l’émotion. C’est d’ailleurs le temps qui vertèbre véritablement le métrage, qui structure totalement la relation père-fille, et qui permet de comprendre jusqu’au sens réel de l’intrigue. Les explications données sur les trous de ver (avec cet usage pédagogique de la feuille de papier qui ne surprendra aucun amateur de science-fiction !), sur les trous noir ou la gravité, sur l’existence d’être à cinq dimensions ou plus, et même sur l’amour comme expression d’une dimension inconnue, font d’Interstellar un film qui parvient à se hisser au niveau d’une bonne, voire très bonne, science-fiction littéraire, celle du Baxter le plus accessible. A cet égard, on appréciera le rôle capital de la bibliothèque…
Quant à l’aspect visuel, il oscille entre sublime et lourdeur. Pour le premier, ces vues de l’espace, avec le choix réaliste et bienvenu du silence, de la station Endurance près de Saturne, ou flirtant avec le trou noir Gargantua. Pour le second, des robots certes originaux mais au profil dynamique moyennement convaincant, et surtout des exo-planètes trop simplistes, planète océan ou planète de glace… De manière plus générale, là où 2001 privilégiait l’esthétisme et l’elliptique, Interstellar se veut à la fois plus explicite et plus direct. D’où l’explicitation progressive de pratiquement toutes les énigmes du scénario, et des rebondissements parfois peu convaincants (le comportement du Docteur Mann, et cette erreur de débutant sur l’ouverture du sas, bien peu crédible au vu des compétences qui sont les siennes). On peut également s’amuser à repérer tout au long du métrage les allusions, plus ou moins claires, à la culture cinématographique de Nolan, que ce soit la rotation de l’Endurance autour de la Terre ou le voyage dans le trou noir (2001), le profil des vaisseaux spatiaux ou les caissons d’hibernation (La Planète des singes), ou l’apparence de la singularité (Inception, en une forme d’obsession visuelle), etc… Sans oublier le beau poème de Dylan Thomas, « N’entre pas sans violence dans cette douce nuit » (1951).
Mais ce qui transparaît de manière plus évidente, c’est la mentalité typiquement étatsunienne du réalisateur, qui use de topoi facilement identifiables. Il y a d’abord la nostalgie pour une époque où l’Amérique dominait le monde, et semblait poursuivre une évolution ascendante presque sans écueil : les années 60, pour faire simple, celles du défi à l’espace lancé par Kennedy et de la course à la Lune, mais aussi celles de la série Star Trek... Dans un contexte de crise, climatique en particulier, à laquelle Christopher Nolan semble sensible, se montrant plus démocrate que républicain, il s’agit de redonner aux Etats-Unis le goût du défi, de leur faire retrouver l’esprit pionnier des origines et la volonté d’aller de nouveau vers la frontière. Et puis, il y a ce point fixe, ce cœur gravitationnel qu’est la famille, le lien familial plus exactement, et par-delà ce plaidoyer pour l’amour, qui, fort heureusement, évite le pathos gratuit et trop démonstratif, au profit d’une finesse qui parvient à se faire touchante.