Accueil > TGBSF > S- > Sans donjon, ni dragon
Sans donjon, ni dragon
dimanche 1er décembre 2019, par
Olivier BOILE (1981-)
France, 2016
Nestiveqnen, coll. « Fractales / Fantasy », 276 p.
J’avais découvert et apprécié Olivier Boile en lisant son recueil Et tu la nommeras Kiev, belle collection de toiles revivifiant la fantasy au contact de la Russie. Sans donjon ni dragon, au titre en forme de clin d’œil ne pouvant laisser insensible les rôlistes patentés, était paru deux ans plus tôt, compilant un ensemble de vingt textes – dont beaucoup d’inédits – classés en cinq catégories, correspondant aux découpages canoniques de l’histoire, mais également à la fantasy et à un présent plus ou moins proche. Chaque catégorie a par ailleurs droit à une conclusion sous la forme de commentaires de l’auteur explicitant plus en détails chaque nouvelle. On y retrouve le talent d’écrivain d’Olivier Boile, fait d’une grande sensibilité, d’une prose souvent touchante, parfois poétique, qui effleure l’histoire de voiles fantastiques, mythologiques ou horrifiques.
« L’esprit de l’Hellespont », un des meilleurs récits antiques, croise ainsi avec brio la légende d’Hellé, fondatrice bien malgré elle du détroit de l’Hellespont, et l’expédition du Grand Roi Xerxès, destinée à écraser l’arrogance grecque qui avait fait plier son père Darius. « D’Ur, de Memphis et de Sodome » est une variation assez originale sur un thème plutôt rebattu, celui des rois mages. Le dévoilement de leur véritable identité vaut ici réconciliation avec autant d’incarnations du divin autrefois bafouées. Une jolie leçon d’écriture. « Service après-vente au Golgotha » s’essaye à une science-fiction humoristique à la Robert Sheckley ou Fredric Brown, mais avec une réussite bancale, tant bien des tenants et des aboutissants y demeurent inexpliqués. « Rends-moi mes légions », enfin, traite du désastre de Varus, tout comme Fabien Clavel dans Furor (passionné par cet épisode, j’avais pour ma part écrit en 2007 les paroles d’un morceau demeuré à l’état de maquette, « Civilized Nature »).
La fin de l’Antiquité et le Moyen Âge sont d’abord honorés par « Geneviève versus Attila », traitement pour le moins original, puisqu’il fait de ces deux personnages des super-héros ! Olivier Boile avait en effet traité de cette thématique dans son roman Medieval Superheroes, et je dois reconnaître que cette relecture iconoclaste fonctionne à merveille ! « Mas’ud le fortuné » est un très beau texte, un conte se déroulant dans le monde arabo-musulman qui propose une explication fort touchante à la genèse du Livre, mère de tous les contes… « La nuit tombe sur Sherwood » est une autre relecture, cette fois d’un mythe populaire, celui de Robin des bois. Le personnage de la nouvelle est vieillissant, et loin de posséder les qualités auxquelles on s’attendrait. Un vrai coup de boutoir dans des légendes confortablement installées. De même, « Mon doux chevalier… » est un régal, tant il prend les stéréotypes à contre-emploi : l’échange épistolaire entre une jeune et belle princesse et le chevalier ayant obtenu les faveurs de son cœur débouche sur une conclusion réjouissante et délicieusement cruelle !
Côté fantasy « pure », « Ne réveillez pas le cancre qui dort » ressemble à une pochade acide, de celle qu’un élève serait capable d’imaginer après une remarque d’un professeur ressentie comme une humiliation. Dure, mais si plaisante… « Chasse à l’homme », présentée par Olivier Boile comme la plus ancienne nouvelle du recueil, se ressent d’une telle jeunesse, l’inversion qui est faite des rôles entre chasseur et chassé, héros et victime, peinant à aller au-delà. « Dame Autunnale et le pouvoir des fleurs », par contre, sous la forme d’un conte raffiné et mélancolique inspiré de Jean Lorrain, est un très beau texte, tragique et jouant à plein du contraste entre beauté des fleurs et sort définitif qu’elles réservent. « Le Guide du routard infernal », enfin, est succulent, sa visite dans les enfers s’avérant variée et plaisante, jusqu’à une chute certes logique mais efficace malgré tout.
Viennent ensuite les périodes dites moderne et contemporaine. « Calafia’s Island » est un autre de ces très beaux textes dont regorge le recueil, histoire d’une Amazone noire, régnant sur l’île de Californie et qui a ensorcelé par son corps un conquistador. La chute de la nouvelle en dévoile toute la force poétique. « Si tous les rois de la terre », comme « Geneviève versus Atilla », secoue l’histoire réelle, faisant ici de Murat et de son épouse… des vampires ! Méritant sans doute davantage d’approfondissements, peut-être dans le cadre d’un roman, le texte est tout particulièrement réussi par son entrée en matière, à base de peinture. « Boire l’éternel oubli » témoigne à nouveau de l’intérêt d’Olivier Boile pour les mythologies, ici la grecque et une de ses nombreuses malédictions, comme dans « Le Guide du routard infernal » ; le clin d’œil à Chateaubriand est au passage bien agréable. « Ben et le Bunyip » a ceci d’original qu’il est axé sur une créature bien méconnue de la mythologie aborigène, résonnant également comme un passage cruel de l’enfance à l’âge adulte.
Pour ce qui est d’un présent plus ou moins bien défini, « Quatre cavaliers » privilégie un ton humoristique, se moquant des religions et des actions de leurs intermédiaires privilégiés ; elles-aussi, en effet, se retrouvent confrontées à la concurrence mondialisée… « Le blues de Zwarte Piet » se fait plus engagé, critiquant avec hargne le révisionnisme touchant certaines traditions, ici celle du Zwarte Piet, compagnon de Saint Nicolas aux Pays Bas, dont la dimension coloniale conduisit à son effacement. « Tout de suite après la pub, l’apocalypse » est une narration de la fin du monde un pas de côté, puisque tout se déroule dans le cadre d’une radio à bien faible diffusion, un traitement qui mérite le détour, inspiré par la quatrième de couverture du roman De bons présages de Terry Pratchett et Neil Gaiman. Enfin, « Le cueilleur de morts », comme plusieurs nouvelles antérieures, se penche sur la richesse des mythologies du monde, ici celle des Inuits. Sans donjon ni dragon, ou la richesse de la palette d’un écrivain dont le nom est définitivement à retenir et à suivre.