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La voie Verne
dimanche 1er mars 2020, par
Jacques MARTEL
France, 2019
Mnémos, coll. « Icares », 320 p.
La science-fiction ancienne de filiation européenne, souvent regroupée sous le terme de merveilleux scientifique, a le vent en poupe. Outre l’encyclopédie de référence qu’est Rétrofictions, réalisée par Guy Costes et Joseph Altairac, on peut noter la sortie en 2018, chez un éditeur grand public, des 10 000 Jours pour l’humanité de Jean-Michel Riou. Comme ce dernier, La Voie Verne est un hommage à Jules Verne, référence décidément indépassable, en dépit du fait qu’un Rosny aîné le dépasse en termes d’anticipation et d’audace imaginative, de grand-père du genre, en somme.
L’intrigue se déroule dans notre proche avenir, décrit avec beaucoup de finesse et de naturel. Au fin fond de l’Aquitaine, un homme se fait engager comme majordome chez une héritière fortunée, veuve d’un architecte de renom. Dans une demeure cossue, riche en ouvrages rares et précieux, il y côtoie Gabriel, le petit-fils de la maîtresse de maison. Cet autiste, traumatisé par la perte de ses parents, a trouvé refuge dans un univers virtuel basé sur les Voyages extraordinaires. Le nouvel employé de sa grand-mère va peu à peu gagner sa confiance, et initier avec lui et le patron du bar local, ancien activiste, un univers virtuel (ou e-nivers) transcendant l’esprit des Voyages extraordinaires et imaginant une colonisation extra-solaire. Mais que cherche exactement ce pseudo-majordome ?
L’idée de transposer les univers de Jules Verne dans un futur dominé par un Internet omniprésent (le Halo) est excellente, quand bien même certains éléments supposent une forte dose de suspension d’incrédulité (l’identité du personnage principal). Surtout, la disparition progressive des livres papier, liée à la lutte contre le réchauffement climatique via la préservation des plantations d’arbres, se révèle convaincante, tout comme une multitude de détails, de la privatisation de certains espaces urbains à la mise en place d’un revenu universel minimum, en passant par la spécialisation touristique de régions déterminées ou la quasi disparition de la lecture, perçue comme une fatalité (« Toutefois, le rêve et l’imaginaire continuaient, portés par les voix des liseurs de textes. Tout n’était pas perdu. » [1]).
L’imaginaire de Jules Verne fonctionne ici comme moyen de réenchanter un monde artificiel, piloté de manière déshumanisée par un fonctionnement bureaucratique aveugle et dogmatique, et où dominent ce que le narrateur appelle les « nains ». Jacques Martel livre donc une utopie qui se veut réaliste, faite d’un croisement entre capitalisme analogique usant sans complexe du marketing et du storytelling, et anarchisme numérique, invitation à retrouver le sens de l’aventure, du défi et du démesuré, tel qu’il peut s’exprimer dans un renouveau de l’exploration spatiale, à la manière de certains films récents comme Interstellar ou Seul sur Mars [2].
[1] Emplacement 4584 de l’édition numérique.
[2] « Dans La Voie Verne, le monde n’est pas au bord du gouffre, il a évolué dans le bon sens. L’humanité va tout de même quitter la Terre, pour éviter la surpopulation, mais surtout car il est dans sa nature d’explorer. L’avenir est dans l’espace. », emplacement 3477 de l’édition numérique.