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Le Livre d’or de la science-fiction : Philippe Curval

dimanche 16 octobre 2016, par Maestro

Philippe CURVAL (1929-2023)

France, 1980

Presses Pocket, coll. "Le Livre d’or de la science-fiction", 320 p.

Philippe Curval est le second auteur français, après Gérard Klein, à bénéficier de cette reconnaissance qu’est la publication d’un volume de la désormais mythique collection de Jacques Goimard. En plus de la préface inédite et pleine d’amitié signée par André Ruellan alias Kurt Steiner, sont rassemblées quinze nouvelles (mais aucun inédit) et une bibliographie complète de l’auteur.

On trouve dans bien des récits une vision pessimiste sur l’humanité, une tendance particulièrement sensible avec les textes des années 1968. « Adamève » est assurément l’un des meilleurs. Cette histoire post-apocalyptique semble d’abord évoquer les rêves écologiques de Jean-Pierre Andrevon, l’humanité ayant déserté une planète sur laquelle subsiste désormais en maître absolu le règne végétal. Un des derniers humains, produit d’une expérience scientifique, cherche à comprendre ce qui s’est passé et à atteindre l’harmonie dans une complétude rêvée. Mais les seuls débouchés de son odyssée sont une extase sexuelle mortifère avec les fleurs et la collaboration à une invasion extra-terrestre dont il n’est finalement que le fourrier inconscient. Il y a beaucoup de noirceur dans ce tableau, que l’on peut lire comme métaphore de l’impossibilité de l’union homme-femme rêvée par Platon et de la cruauté de la solitude à la Stirner.

« Les communes », paru dans Ciel lourd, béton froid, s’inscrit pleinement dans la vague aussi intense qu’éphémère de la « nouvelle science-fiction politique », puisqu’elle met en scène des combattants révolutionnaire du proche avenir, adeptes de la guérilla urbaine (et qui s’inscrivent dans une longue filiation, étant surnommés les « communards »). Leur objectif : enrayer l’extension de zones pavillonnaires uniformes et génératrices de conformisme petit-bourgeois, au profit de communes libres, regroupées en fédérations, et nichées dans les ruines des anciennes mégapoles. La révolution semble avoir ouvert une longue guerre civile d’usure et de positions, et c’est là que Philippe Curval laisse libre court à un certain scepticisme, qui vient tempérer l’enthousiasme militant. L’avenir est en effet loin d’être écrit d’avance, et la figure finale du révolutionnaire adoptant une castration volontaire, un plaisir hédoniste et solitaire au détriment d’une communion empathique, a valeur de critique d’un engagement trop abstrait et gros de vanité…

La sexualité est pour partie derrière « L’enfant-sexe », mais cette évocation d’un mode de reproduction autre, dans lequel c’est le géniteur mâle qui porte le futur être, avant de lui servir au sens premier du terme, est à la fois inversion des instincts de certaines araignées et critique d’un certain féminisme radical, profond. « Permis de mourir » s’en prend pour sa part à nos sociétés technocratiques et bureaucratiques, puisque dans cette conurbation du futur, totalement déconnectée de la nature, il convient de passer par les échelons du labyrinthe administratif pour obtenir l’autorisation de se tuer. Car bien qu’immortels et dotés d’une santé parfaite, les représentants de cette humanité future ne sont pas tous pleinement heureux… Une fable efficace sur l’uniformité rampante des sociétés occidentales contemporaines. Il en est de même dans « Vivement la retraite ! », qui isole les citoyens désormais inutiles dans un jour unique et perpétuellement recommencé, censément le plus beau de leur vie, mais dont le caractère factice finit par émerger. Là encore, utilitarisme social et virtualité aliénante sont au cœur du propos de Philippe Curval.

Dans « Tous les pièges de la foire », on sent planer l’ombre pesante de Dick (déjà sensible avec « Permis de mourir », d’ailleurs), à la fois par ce cadre décalé (une fête foraine géante sur un satellite de Jupiter) et surtout par son personnage, chargé de supprimer l’incarnation du mal, qui finit par retrouver la mémoire et découvrir la terrible vérité (un scénario qui sera en partie repris dans le long métrage de René Laloux, Gandahar). Dick est également à la manœuvre derrière « Une psychose automatique », son protagoniste étant hanté par ses visions d’individus remontés par d’autres, comme si la société dans son ensemble n’était finalement qu’une mécanique manipulatoire… Quant à « L’objet perdu », c’est plutôt à Clifford D. Simak qu’il fait penser, avec son artéfact extra-terrestre servant à alimenter -vainement !- un zoo d’outre-espace.

Autre pièce majeure du recueil, « Passion sous les tropiques », parue initialement dans Les Soleils noirs d’Arcadie, et qui apparaît comme une uchronie extrêmement convaincante, suintante de véracité, au sein de laquelle la civilisation maya demeure corsetée dans sa gangue religieuse, théocratie exerçant une véritable dictature sexuelle, puisque les pulsions de cet ordre n’ont droit qu’à une expression débridée deux mois dans l’année. Enfin, dans « Un rêve de pierre  », on peut également voir en la personne de ce sculpteur frustré, trouvant finalement l’accomplissement dans sa fusion véritablement sublimatoire au sein de son œuvre d’art ultime, élaborée à partir d’une météorite, une image de l’impasse à laquelle nos sociétés sans âme, désenchantées, nous condamnent.

Plusieurs textes, enfin, font la part belle à l’humour et à l’absurde, ainsi de « Une histoire romaine », variation sur le thème des voyages temporels et des histoires parallèles, qui tient plus du délire que de la recherche d’authenticité, avec son empire romain qui souhaite éviter l’arrivée du christianisme en reculant sans cesse vers le passé, jusqu’à s’annihiler lui-même. « L’odeur de la bête », autre nouvelle de « jeunesse », est fort sympathique, cette créature extra-terrestre gazeuse, capable de mettre fin à toute vie animale sur Terre, étant finalement terrassée par les fragrances de la société dans ses retranchements les plus glauques, les plus authentiques ? « C’est du billard », l’une des nouvelles les plus connues de l’auteur, l’une de ses premières également, est à la fois imprégnée de l’époque de sa rédaction, avec cet élément de la culture jeune qu’était le flipper, et ouvert sur des perspectives plus larges, le jeu servant ici de moyen de sélection pour l’empereur de la galaxie (on pense à Van Vogt en particulier).

On reste moins convaincu par le « Journal volé à une jeune fille », qui se veut plein d’empathie, mais demeure trop opaque dans son tableau d’une société théocratique aux velléités totalitaires, tout comme « Le bruit meurtrier d’un marteau piqueur », dont le dénouement entre un des derniers humains, atteint d’une énigmatique tumeur, et un des extra-terrestres envahisseurs de la Terre qui lui absorbe, demeure plutôt abscons…

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