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Les Enfants du mirage, tome 2

Les chefs-d’oeuvre de la SF française 1980-1990

dimanche 19 mars 2017, par Maestro

Richard COMBALLOT (sdd)

France, 2002

Naturellement, 464 pages.

Avec ce deuxième volume, joliment illustré par Caza, Richard Comballot poursuit son exploration du riche patrimoine des nouvelles de SF françaises, et on peut cette fois encore parler d’une moisson exceptionnelle. Le premier de ces recueils était introduit par Jean-Pierre Andrevon, celui-ci l’est par Philippe Curval, qui en profite au passage pour égratigner le dit Andrevon, tout comme Gérard Klein, jugé trop critique vis-à-vis de la production française. Si son texte, dont la subjectivité est pleinement assumée, ne manque pas d’intérêt, il témoigne également d’une opinion particulièrement positive sur lui-même plutôt déplacée…

L’anthologie commence avec « Le clavier incendié », de Lionel Evrard, une évocation de l’inévitable disparition de la jeunesse, de la nature et par extension de l’utopie et de l’espoir des années 70. « Le parc zoonirique » de Francis Berthelot se situe dans la même mouvance, en exposant crûment la destruction de l’imaginaire enfantin par une mère pleine de bonnes intentions et sa conséquence sur les mœurs du dit gamin. Et « Voyage objectif », de Philippe Curval, avec le destin fantastique de cette jeune femme passionnée de photographie, ne peut-il pas être vu comme la dilution de l’être humain dans le modernisme et la technologie froide ? On peut également en rapprocher « Quand le Cancer fera de toi une forteresse, voisin, sauras-tu retrouver la douceur de tes paysages et la naïveté des dessins de ton enfance ? », d’Emmanuel Jouanne, qui est une métaphore transparente, à travers la transformation atroce d’un individu lambda, de l’individualisme croissant et de l’isolement hédoniste dont il se nourrit.

L’excellent « Subway, éléments pour une mythologie du métro », de Serge Brussolo, explore justement, dans une ambiance presque lovecraftienne, la part d’ombre que peut recéler cet élément en apparence si familier de notre quotidien, prouvant ainsi de manière remarquable les capacités de renouvellement et d’adaptation de la SF (bien qu’il s’agisse ici davantage de fantastique). Ce désenchantement est présent aussi dans la nouvelle d’Alain Dorémieux, « L’homme qui a gagné la mer », qui embaume un léger parfum de fantastique désuet, et dont le sujet n’est guère éloigné du texte extrêmement sombre de Sylviane Corgiat, « Les naufrageurs »… Et que dire de « Fille de joie, fille de tristesse », de Yves Frémion, tableau sans concession du bonheur et de la tragédie de notre vie quotidienne, du plus banal « L’amour est transi à moins deux cents », de Jacques Mondoloni, et de « La femme escargot allant au bout du monde », de Bruno Lecigne, extrêmement poignante et noire, en plus d’être une habile métaphore de la domination masculine ! Mais le pire est sans doute « Quand le Cancer fera de toi une forteresse, voisin, sauras-tu retrouver la douceur de tes paysages et la naïveté des dessins de ton enfance ? », évocation de la maladie et de la destruction qu’elle opère sur l’organisme, pour laquelle Jouanne apparaît comme un Boris Vian de l’obscur.

« Quelques pas en arrière entre Styx et Achéron » (sic), de Jacques Boireau, illustre a contrario le versant positif de cette fièvre de changement de la décennie précédente, sous la forme d’une architecture idéale et de la perpétuelle recherche de la perfection, par-delà les générations. Face à la lutte des classes et à ses répercussions dans la structure urbaine, à la grisaille et à l’enfermement des ouvriers, le fils prodigue propose une « cité du soleil » (re-sic), inspirée de l’Antiquité grecque, où les énergies propres (solaire et éolienne) sont un des seuls témoignages de technologie, et où la propriété semble secondaire, tout comme la dissimulation, d’ailleurs. Ville ouverte, dans un monde subtilement uchronique.

De même, « Rien qu’un peu de Cendre, et une ombre portée sur un mur », de Jean-Pierre Andrevon, est un récit doux-amer dans lequel subsiste un espoir presque naïf de voir disparaître les aspects les plus négatifs de notre civilisation (dont cette peur atomique qui occupe plusieurs des textes de l’auteur, et que l’on retrouve aussi avec « Mille soleils », de Richard Canal, très belle dénonciation des ravages de l’arme atomique), par le biais d’une jeune fille mutante. « L’amour des étoiles », de Pierre Stolze, est un peu plus grave, à défaut d’être très original : il met en effet en scène une société revenue à un stade pré-industriel, qui a banni la guerre de ses activités et de sa mémoire collective, un effacement qu’il faut être prêt à protéger par la violence, si besoin est… Une ambiguïté passionnante, même si elle reste ici plutôt sous exploitée. Sur ce même thème de la guerre, « Le Fils est de retour », de Raymond Milési, est une illustration classique mais efficace du mimétisme qui s’opère entre les protagonistes d’un conflit, jusqu’à égarer son humanité, tandis que le poétique « Les Cartographes du désert bleu », de Daniel Walther, référence à la colonisation, est un plaidoyer pour le respect de la différence culturelle… Enfin, « La petite fille et le jardinier », de Jean-Pierre Vernay, est une autre dénonciation de la guerre et de la violence, à la fois simple et sincère : derrière cette fable tragique, on perçoit l’opposition entre une société humaine décadente et une nature au-delà de ces autodestructions, capable toutefois de se révolter. On peut même en rapprocher l’énigmatique et troublant « Le visage trop net », de Guy Grudzien.

Mais on touche là au thème éternel de l’amour, exploré sur un mode temporel (plutôt complexe) avec « L’anniversaire » de Colette Fayard (sur ce thème du voyage dans le temps, « La vallée du temps profond », de Michel Jeury, est moins marquante), « Mémoire vive, mémoire morte » de Gérard Klein (déjà compilé dans Les Navigateurs de l’impossible), le poétique « Eh ! Et si l’amour des étoiles avait plus de rapports avec la chair qu’on ne le croit ? Et si les rêves d’enfant avaient moins de rapports avec les joujoux qu’on ne le croit ? Hé ! Qu’est-ce que vous dites de ça ? », d’Emmanuel Jouanne et Jean-Pierre Vernay, ou « Hurlegriffe », de Joëlle Wintrebert, un texte profond comme elle sait si bien en écrire.

Quand à certaines nouvelles, elles cultivent l’absurde jusqu’à effacer le réel (« Concordance des temps dans un lieu-dit », de Jacques Barbéri et Henry-Luc Planchat, « Gisant (une variation) » de Henry-Luc Planchat) ou atteindre à l’atroce (« Je suis le Savant fou et ma maman est un requin », de René Durand, et « La mort en ce jardin tel un pilote en son navire », de Jacques Barbéri). L’anthologie se conclut par « Dans le ressac électromagnétique », de Michel Demuth, fort élégamment écrit, empli de poésie et de néologismes ouvragés, une belle conclusion sur le thème du vaisseau arche et de la fusion femme-machine, pour ce témoignage sans appel de la qualité de la production française science-fictive en ces années 80.

On regrettera néanmoins l’absence de notices biographiques sur les auteurs, ainsi que d’une brève présentation de chaque nouvelle. Le plus gros regret reste toutefois de ne pas avoir vu l’entreprise se prolonger au moins dans un troisième tome, consacré aux années 1990…

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