Accueil > TGBSF > I- > Il est difficile d’être un dieu

Il est difficile d’être un dieu

samedi 31 mars 2012, par von Bek

Arkadi (1925-1991) et Boris (1933-2012) STROUGATSKI

URSS, 1964

Anton est un agent secret œuvrant pour l’institut d’histoire de la Terre sur une lointaine planète de civilisation médiévale. Dissimulé sous l’identité de don Roumata, un gentilhomme bretteur émérite exilé au royaume d’Arkanar, il est chargé, avec d’autres, d’étudier et de transmettre toute information susceptible de nourrir la science historique avec la défense absolue d’intervenir dans les affaires locales au risque de perturber le cours naturel des évènements.

Seulement, pour un jeune homme qui enfant jouait au redresseur de tort dans les bois terriens, il est parfois difficile de ne pas être révolté par ce à quoi il assiste. Alors que le sinistre don Reba, ministre de la sécurité du royaume, a lancé aux trousses de tous les intellectuels ses sections d’assaut - les Gris -, don Roumata sent poindre sur le royaume la menace de l’avènement d’une autorité obscurantiste et oppressive. Oui, vraiment, quand on a secrètement des moyens technologiques qui dans ce contexte font quasiment de lui un dieu, il est difficile de ne pas abuser de son pouvoir.

Second roman de la série de l’Univers du Midi, Il est difficile d’être un dieu est perçu par la critique française comme une critique courageuse du totalitarisme, notamment le stalinien, en général, et du système soviétique en particulier, sans toutefois remettre en cause le communisme [1].

Courageuse parce que paru en 1964, l’année même de l’éviction de Krouchtchev et de la prise du pouvoir par Brejnev. On ne va pas ergoter sur le mérite de cet adjectif courageux, mais simplement rappeler qu’un livre, même s’il est relativement court et composé à quatre mains (en fait surtout deux mains et deux cerveaux) ne s’écrit pas en un jour et que Krouchtchev perd le pourvoir en octobre 1964. Il faudrait préciser si le livre des frères Strougatski a paru après ou avant...

Il est en revanche certain que le livre est critique. Pas seulement du totalitarisme en général, car, si les troupes grises et le ministère de la sécurité peuvent bien évoquer une quelconque police politique, qu’elle soit allemande ou russe, et si la volonté de contrôler les intellectuels peut bien renvoyer à la paranoïa de Staline, on peut aussi voir dans le ministère de la sécurité l’ombre de Okhrana (ou Okhrannoye otdeleniye c’est-à-dire section de sécurité), la police politique secrète tsariste, dans don Reba, une émanation plus subtile de Raspoutine et dans les attaques contre les intellectuels, les poursuites qui ont été faites à l’encontre des intellectuels bolchéviques avant leur prise du pouvoir. Autrement dit les frères Strougatski ne sont pas tant critiques que cela du système soviétique que de toutes les dictatures, d’autant que la civilisation d’Arkanar fonctionne sur une économie de marché.

Qu’Il est difficile d’être un dieu ne remette pas en cause le marxisme-léninisme est évident à la lecture. D’abord parce qu’il appartient au cycle de l’Univers du midi, un univers dans lequel l’humanité terrienne a accompli sa destinée marxiste et donc dans lequel la dialectique historique de la lutte des classes a pris fin. En fait l’institut d’histoire ne cherche ni plus ni moins qu’à s’assurer que le déroulement de l’histoire suit bien le schéma marxiste. Ensuite parce que son héros défend en fait une position purement léniniste puisqu’il attend des intellectuels qu’ils prennent la tête d’une révolte populaire pour renverser la tyrannie. Si ça c’est pas du Lénine...

Heureusement, Il est difficile... peut se lire en faisant abstraction de son arrière-plan politique. En dépit de l’origine de don Roumata, de son envie d’utiliser la technologie pour accélérer le cours de l’histoire, le roman a des allures de roman de fantasy. Il évoque vivement les Trois mousquetaires par un côté bon vivant, quand les poulardes coulent à flot et le vin cuit à la broche (ou le contraire), par des combats épiques à un contre plusieurs, qui tempèrent la noirceur des pensées d’Anton.

Sa brièveté même tend à d’ailleurs à réduire sa dimension science-fictive au profit de son côté cape et d’épée. Voilà donc un livre dont la nouvelle édition chez Lune d’Encre ne cherche pas vraiment à briser la vague de fantasy régnante. Elle tend aussi à frustrer un peu le lecteur, en dépit d’une fin on ne peut plus définitive et sombre. C’est un roman russe quand même.

Un message, un commentaire ?

Forum sur abonnement

Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d'indiquer ci-dessous l'identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n'êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.

Connexions'inscriremot de passe oublié ?