Irma Vep contre le Grand Cerveau

Frank SCHILDINER

Etats-Unis, 2019, Irma Vep and the Great Brain of Mars

Black Coat Press, coll. « Rivière blanche », série Noire, 294 p., 2022, traduction de Thomas Bauduret, postface de Jean-Marc Lofficier.

Frank Schildiner est un auteur prolifique. Habitué des Compagnons de l’ombre, il a également signé nombre de romans reprenant certains personnages emblématiques des littératures de l’imaginaire. On pense bien sûr à sa trilogie consacrée à Frankenstein (La Quête, Le Triomphe et Les Sortilèges de Frankenstein), et également à la savoureuse série des Chasseurs de Vampire de Napoléon (voir notre chronique du premier tome). Mais il a aussi proposé une variante sur cet ouvrage précurseur de la fantasy, Les Atlantes – sous le nom de L’âme de Soroé (et The Sword of Argall, non traduit à ce jour) – ainsi que le roman dont il est ici question.

Le Grand Cerveau, c’est celui du classique de Gustave Le Rouge, Le Prisonnier de la planète Mars / La Guerre des vampires. Condamné à une inévitable extinction en raison des actions de Robert Darvel (qu’on peut s’étonner au passage de ne pas voir intervenir), il expédie une partie de lui-même sur Terre, afin de débuter une autre existence. Mais en prenant le contrôle d’un corps humain afin de l’occuper, il annihile du même coup les conspirateurs qui se préparaient à assassiner François-Ferdinand à Sarajevo. Le roman mêle donc uchronie et hommage à Le Rouge et Louis Feuillade. Les clins d’œil sont d’ailleurs nombreux, dans une intrigue centrée surtout sur les milieux de la pègre. On croise ainsi un jeune Marc-Ange Draco (futur beau-père de James Bond), la cavorite d’H.G. Wells, une Berlin se métamorphosant en Metropolis, tandis que Rotwang est entré au service du Grand Cerveau.

Ce dernier cherche en effet à développer son emprise sur la société française, devenue (sans que l’on ne sache d’ailleurs comment) un Empire. Pour cela, il s’efforce de contrôler les milieux criminels et industriels, en commençant pour cela par ceux de la métropole de Marseille. Il se sert également d’une secte qu’il a intégré, d’autres qu’il a désintégrées, et de divers hommes (ou femmes !) de main. Irma Vep, de son côté, a vu son gang des Vampires décimé. Elle en est la seule survivante, avec son camarade Victor, alias l’Eidolon, tous deux cachant leur véritable identité derrière celle d’artistes de cirque. Ils vont alors être amenés à s’allier à l’organisation criminelle de la Main rouge, dirigée par les frères Kramm (autre création de Gustave Le Rouge dans Le mystérieux Docteur Cornélius) ; non par conviction, mais parce qu’ils sont confrontés au même ennemi…

Riche en scènes de combat, et plus largement en confrontations diverses, Irma Vep contre le Grand Cerveau est un roman très plaisant pour ceux qui connaissent un tant soit peu les références utilisées (que la postface de Jean-Marc Lofficier vient fort utilement éclairer). Moment délicieux, par exemple, que l’échange entre Irma Vep et Gaspard Gervais, le responsable d’un café terrain neutre pour la pègre, véritable succession de punchlines (pour parler un langage très contemporain). Frank Schildiner brosse par ailleurs le portrait de seconds rôles particulièrement étoffés, ce qui compense en partie le peu de précisions données à contrario sur la situation géopolitique de cette histoire parallèle. Le dénouement, sans doute un peu rapide, appelle de toute façon une suite directe.