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Julian
Apostat. Fugitif. Conquérant
samedi 2 novembre 2013, par
Robert Charles WILSON (1953-)
Canada, 2009, Julian Comstock : A Story of 22nd-Century America
Denoël, coll. "Lunes d’Encre", 2011, 608 p.
ISBN : 978-2-20710877-2
Le XXIIe siècle dans lequel vivent Julian Comstock et son ami Adam Hazzard, le narrateur du roman, est un monde de l’après-pétrole, un classique de la SF. Robert Charles Wilson a imaginé qu’après un temps de chaos, qui a vu diminuer la population de la Terre, les sociétés sont retombées à un niveau technologique et moral qui est celui d’un XIXe siècle mâtiné de rapports entre possédant et travailleurs qui m’ont rappelé le système du clientélisme romain ou les encomienda de la conquête espagnole.
S’il y a toujours un Président des Etats-Unis et un Sénat, les pouvoirs des uns et des autres et le système électoral ne sont plus les mêmes. L’élection du président est un simulacre qui voit souvent la même famille conserver la fonction ; L’assemblée est occupée par de puissantes familles qui se désignent elles-mêmes comme les Eupatridiens, mélange de l’aristocrate et du patrice des antiquités grecques et romaines. C’est à ce groupe social qu’appartient Julian Comstock. Il est aussi le fils d’un général victorieux et le neveu du président des Etats-Unis Deklan Comstock qui a fait exécuter son frère par jalousie sous un sombre prétexte de trahison. Pour le protéger sa mère l’a envoyé dans une propriété où il se lie d’amitié avec Adam. Cela ressemble plutôt à l’empire romain, d’autant que l’armée est souvent envisagée comme un pouvoir susceptible de renverser celui en place et de s’imposer.
Les Etats-Unis mènent des guerres sur leurs frontières Sud (contre le Brésil) et sur la frontière Nord, mais ces frontières ne sont pas celles qu’on leur connaît, car le chaos de la fin du pétrole ou la guerre ont permis l’élargissement du pays jusqu’à l’Amérique centrale et, plus important pour le roman, jusqu’au nord du Saint-Laurent. Se déroule à cet endroit une guerre contre la Mitteleuropa - la puissance européenne du moment - qui a pris le contrôle du Labrador et du nord du Québec. Cette guerre, faite d’offensives à outrance voulues par le pouvoir politique, évoque la guerre de sécession ou la première guerre mondiale. Julian et Adam fuient pour échapper à la conscription mais finissent par se retrouver sous les drapeaux.
Tandis qu’Adam s’éprend d’une chanteuse de cabaret de Montreal très engagée dans les mouvements révolutionnaires, Julian ne manque pas de se faire remarquer par son courage inconscient et par ses discours peu conformes aux dogmes. La religion occupe une place importante dans ce futur : le Dominion, une institution chargée de donner son aval aux Eglises jugées conformes au dogme mais aussi son imprimatur aux livres religieusement convenables. Il pointe d’un doigt accusateur la période de l’Efflorescence du pétrole qui a entraîné la Chute des Villes et la Fausse Affliction au cours de laquelle l’Humanité aurait bien pu disparaître. Sans être tout à fait une police religieuse, le Dominion a des pouvoirs judiciaires. Sans être une Eglise, il peut excommunier et inciter à la violence. Si les libertés ne sont pas complètement abolies ou contrôlées, il vaut quand même mieux recevoir sa bénédiction. Or, par ses propos alimentés par ses lectures ramenées des ruines de l’ancien monde, Julian Comstock ajoute aux menaces émanant de son oncle, les anathèmes du Dominion.
Le destin qu’il connait alors est décrit par son ami Adam, avec une tournure de phrase, de pensée qui font la véritable valeur du roman de Robert Charles Wilson : Adam est à la fois le produit de son époque et son critique. Il est capable de pensée révolutionnaire et d’une pudibonderie morale des plus convenues. Wilson a réalisé un formidable travail d’écriture avec un ton qui rappelle certains livres du XIXe siècle.
Mais Julian m’est d’abord apparu comme un roman critique des Etats-Unis de notre époque en général mais surtout des conservateurs américains qu’ils soient faucons ou Tea-Party. Wilson, américain émigré au Canada, réglerait-il ses comptes avec son pays d’origine ? La réponse est positive en ce qui me concerne. J’ai vu dans la guerre menée dans le Nord, une dénonciation de l’utilisation de la guerre comme instrument de politique intérieure, une critique de l’interventionisme américain des années Bush. Quant au Dominion, le rapport est évident avec le christianisme conservateur.
Cependant, cela n’avait rien pour me gêner. Si j’ai peu goûté le livre, c’est d’abord parce qu’il recèle de frustrant et de peu cohérent. Je me contenterai de dire que la passion de Julian pour le cinéma occupe une trop grande place dans le récit et le rend peu réaliste dans la dernière partie. Néanmoins, le livre est intéressant et j’invite tous les passionnés de steampunk à le lire.