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Jack Barron et l’éternité

samedi 22 février 2014, par von Bek

Norman SPINRAD (1940-)

Etats-Unis, 1969, Bug Jack Barron

Ça faisait un bail que je n’avais pas lu Spinrad [1], mais j’ai fini par cesser de remettre à un autre jour la lecture de Jack Barron, histoire de m’épargner un motif supplémentaire de honte éventuelle sur les forums.

Dans un avenir proche, Jack Barron anime un talk show extrêmement populaire dans lequel il se charge des problèmes d’un correspondant en interpellant une tierce personne qu’il malmène avec habileté afin de faire durer l’émission et de l’amener là où il l’entend. Quand l’émission commence à poser des questions autour du programme d’hibernation et d’immortalité du magnat Howards, lequel projet doit faire l’objet d’une loi visant à lui réserver le monopole de l’activité, Barron se rend compte très rapidement par les réactions de Howards ou de son soutien politique, qu’il a levé quelque chose. Cependant on ne met pas de bâton dans les roues du grand Howards, un homme qui a le pouvoir corrupteur et l’absence de scrupules du diable !

Sans doute peut-on considérer que Jack Barron et l’éternité a ce qu’il faut pour être un classique de la SF [2], ce que tendent à consacrer les multiples éditions françaises [3] parce qu’il aborde des thèmes qui traversent les époques. Sur un air faustien, Spinrad formule une critique très verte du pouvoir corrupteur de l’argent, de la politique le tout regroupé derrière le pouvoir d’immortalité détenu par Howards. Le héros de Spinrad n’est pas parfait, puisqu’il cède à la tentation, même sous le prétexte de mieux lutter contre son adversaire.

Cependant le livre m’a semblé extrêmement influencé par le contexte de sa rédaction - les années soixante américaines -, puisque marqué par la lutte des droits civiques des Noirs, lesquels apparaissent toujours comme au bas de l’échelle sociale (il y a même un clin d’oeil à Malcolm X avec une allusion à un homme politique nommé Malcolm Shabazz), par un mouvement contestataire des étudiants en rupture avec la société de leurs parents (Barron et son ex-femme sont des Bébés Bolchéviques de Berkeley, le Nanterre californien), par les revendications libertaires concernant la drogue ou la sexualité (certains passages sont sexuellement des plus explicites et la drogue est un produit de consommation courante dans l’Amérique de Barron), enfin par une condamnation du monde politique en général, Républicains et Démocrates étant mis quasiment dans le même sac, les premiers étant déjà au fond. Même l’esthétique du livre renvoie au psychédélisme des années soixante finissant (l’orgue chromatique dans l’appartement de Barron), ne serait-ce que par l’usage du split screen dans le show, pratique très innovante dans le cinéma de la fin des années soixante (cf. L’Affaire Thomas Crown de Jewinson ou L’Etrangleur de Boston de Fleischer, deux films sortis en 1968).

Quelque part donc, Spinrad ne fait qu’amplifier des tendances de la société de son époque, ce qui en soit est fréquent dans la SF qui se donne pour but de pointer du doigt des travers contemporains. Jack Barron est une critique de la société américaine d’une époque, une dénonciation du capitalisme à la sauce marxiste puisqu’il oppose des privilégiés pouvant s’octroyer l’immortalité à des exploités. Il ne cherche pas à innover, ne serait-ce que dans le décor ou la technologie - tout au plus avec les vidphones -, même si on peut lui trouver un talent visionnaire dans sa capacité à prévoir l’élection à la présidence de Reagan, mais là encore il ne fait que s’appuyer sur l’élection de celui-ci au poste de gouverneur de Californie en 1967. En somme, Jack Barron et l’éternité m’a semblé être le roman de SF d’une génération.

Par ailleurs, si le livre emploie un langage très direct dans un style rapide qui multiplie les juxtapositions de propositions, le vocabulaire m’a semblé vieillot et du coup, pas aussi percutant qu’il a dû l’être en son temps. Le nom de l’émission de Barron en fournit un bon exemple : Faites suer Jack Barron - Bug Jack Barron en anglais -, ça manque un peu de punch aujourd’hui. Mais est-ce le champ lexical employé par Spinrad qui a vieilli ou est-ce la traduction faite par Guy Abadia en 1971, qui a mal vieilli ? Voilà un livre qui vient contribuer au débat de l’utilité de publier de nouvelles traduction !

Toujours est-il que ces deux aspects - l’influence du contexte de la rédaction et le vocabulaire - font que ce livre, qui figure dans quasiment toutes les listes des must de la SF, n’a pas suscité en moins un enthousiasme délirant. J’ai apprécié, mais sans plus. Pour le moment Les Années fléaux restent mon Spinrad préféré, mais il m’en reste encore à lire.


[1Ma dernière lecture remonte à 2008 avec Rêve de fer et encore, c’était une relecture, c’est dire !

[2i.e. un livre que l’on peut relire sans qu’il paraisse démodé selon la définition d’Italo Calvino qui est celle que j’approuve le plus

[3Parmi lesquelles j’ai choisi la couverture réalisée par Manchu pour laquelle j’ai un faible.

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