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Virus
samedi 9 janvier 2016, par
John BRUNNER (1934-1995)
Grande-Bretagne, 1973, That Stone That Never Came Down
Presses de la Cité, coll. "Futurama", 1976, 222 p.
La Communauté économique européenne est au bord de l’explosion et de la guerre alors que le populiste et populaire général Dalessandro marche vers le pouvoir en Italie. Le Royaume Uni, rongé par le chômage, est secouée par les violences sociales : celles des grèves réprimées par l’armée, celles des Fils-de-Dieu, mouvement chrétien qui s’attaque physiquement à tout ce que la morale réprouve avec la caution tacite de la Campagne contre la Pollution morale dont le leader est au gouvernement. Victime de cette flambée puritaine, Malcolm Fry a perdu son poste de professeur et sa famille avec. Il se voit réduit à louer une à une les chambres de sa maison et sombre un peu plus dans le désespoir jusqu’à ce qu’un soir un inconnu lui offre à boire dans un pub et une étrange pilule qui développe son intelligence. Et il n’est pas le seul dans ce cas.
Publié à une époque où la SF d’anticipation ne baigne pas dans l’optimisme. Il suffira de citer Notre île sombre, initialement écrit en 1971, parmi de nombreuses autres références aussi bien littéraires que cinématographiques. Le rapprochement n’est pas anodin car Virus partage avec le livre de Priest une critique de la xénophobie et de l’extrême-droite. Alors que le premier finit tragiquement, le roman de Brunner s’achève sur une certaine satisfaction et une amélioration de la situation. Qu’on ne s’y trompe pas, l’auteur de Tous à Zanzibar ne fait pas preuve ici d’optimisme, c’est surtout qu’il manifeste son dégoût de la religion, du racisme et du populisme dont il a à coeur de dénoncer l’hypocrisie.
Le roman cultive donc un certain humour acide dès lors qu’il s’attaque à des personnages comme Frère Bradshaw, évangéliste convaincu, qui, contaminé, en vient à dénoncer la rigueur morale qu’il défendait précédemment ou Lady Washgrave, égérie de la Campagne contre la pollution morale, qui gérante des dernières volontés de feu son mari, finit par reconnaître qu’il n’était qu’un fieffé gredin infidèle.
Alors que j’ai souvent été déçu par les romans de Brunner, sorti de l’excellente tétralogie qui n’en est pas vraiment une [1], Virus m’a été un bon moment de lecture, en dépit de son invraisemblance logique, l’intelligence n’étant pas synonyme d’honnêteté. A la différence donc du Barrière mentale de Poul Anderson qui met lui aussi en scène l’accession de l’humanité à une intelligence plus grande, Virus ne magnifie pas l’espèce humaine : la maladie est ici un artifice pour mieux la critiquer.
Il serait intéressant cependant de se pencher sur le contexte dans lequel ce roman et celui de Priest ont été écrit : qu’est-ce qui a pu inquiéter leurs auteurs dans l’évolution de leurs sociétés pour qu’ils se livrent à une telle critique à la sortie des années 60 dont on peut pas dire qu’elles soient marquées par le triomphe de la morale et des gouvernements populistes. Pourtant John Brunner a su quelque part anticiper la politique sociale du Tatcherisme ainsi que le recours à la guerre comme dérivatif aux problèmes intérieurs.
[1] Tous à Zanzibar, L’Orbite déchiquetée, Le Troupeau aveugle et Sur l’onde de choc