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Célestopol

dimanche 14 février 2021, par Maestro

Emmanuel CHASTELLIERE

France, 2017

Libretto, 2019, 352 p.

Emmanuel Chastellière est un touche-à-tout de l’imaginaire, ainsi qu’en témoignent ses deux premiers romans, Le Village et la fantasy originale de L’Empire du léopard, lui qui avait pu travailler son style par son expérience dans les traductions de romans. Célestopol, initialement paru en 2017, confirme ce refus des cadres trop stricts, des étiquettes trop restrictives.

De prime abord, ces aventures racontées sous forme de quinze nouvelles et qui se déroulent toutes sur Célestopol, la métropole lunaire bâtie par l’empire de Russie au début du XXe siècle, semblent relever du merveilleux scientifique ou du steampunk. Mais si certains textes développent certains motifs typiques de la science-fiction ancienne (les automates, les vaisseaux spatiaux), le lecteur se rend rapidement compte qu’il s’agit avant tout de décors rutilants, et que l’essentiel, sur Célestopol, cette ville de tous les possibles, tient à ses personnages, aux relations agitées qui les lient, aux amours impossibles qui les percutent, aux coups du sort que la vie leur réserve, dans la plus pure tradition du roman social russe… ou français. Comment, par exemple, ne pas penser à Gogol en découvrant «  Dans la brume », histoire d’un cadet éclipsé par son aîné, et qui, pensant inverser le diktat de la destinée, se retrouve à devoir porter la malédiction de son geste… D’une cruauté plus cynique encore, « Les jardins de la lune » permet d’assister à la lente déchéance d’un jardinier chargé par le duc Nikolaï, gouverneur de Célestopol – et personnage récurrent du recueil – de faire naître des jardins et des vignes à partir de la surface ingrate de notre satellite.

« Une note d’espoir » ou « La douceur du foyer » plongent quant à eux directement dans les profondeurs du folklore slave, incitant à voir dans Célestopol un miroir déformé et déformant de la Russie pré-révolutionnaire, société profondément inégale, où les désirs d’émancipation peuvent se nicher dans de simples « Lumières de la ville », texte très touchant croisant les mentalités profondément rurales de la Russie et l’exploitation industrielle sous sa forme la plus brute. Fantastique et science-fiction font ainsi bon ménage, de « Le boudoir des âmes », croisement entre fantômes et interrogation existentielle d’un automate (on pense à Asimov, bien sûr), à « Convoi », habile déclinaison là encore de fantômes liés à des manipulations de l’espace-temps, en passant par « Tempus fugit », beau final qui résonne, comme l’ensemble du livre, d’une tonalité tragique.

Une des nouvelles les plus ambitieuses et les plus réussies est certainement « Oderint dum metuant », où les rivalités aristocratiques entre le duc et la tsarine sont court-circuitées par les enjeux strictement économiques, ceux de la bourgeoisie britannique exploitant le pétrole… pardon, le sélénium ! Sans oublier la belle figure de l’oiseau de feu, cambrioleur acrobate, illusionniste de talent… Un duo improbable d’enquêteurs, composé d’une Islandaise experte en combat et d’un ours doté d’un esprit humain, constitue un autre groupe récurrent. Au sein d’une telle galerie de personnages, l’arrière-plan uchronique, ponctuellement évoqué, n’a finalement qu’une importance réduite [1]. Et si, finalement, tout cela n’était qu’un rêve ?


[1Même si certaines interrogations demeurent, ainsi du changement de capitale de Saint-Pétersbourg à Moscou, sans bolcheviques au programme…

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