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Les Gardes-rêves

samedi 10 octobre 2015, par Maestro

Raymond ISS (1945)

France, 2015

Black Coat Press, coll. "Rivière blanche", 256 p.

De Raymond Iss, nous connaissions déjà La Bulle d’éternité, beau recueil de nouvelles relevant de la science-fiction paru en 2013. Les Gardes-rêves en est le pendant plus fantastique [1], avec trente et une nouvelles indépendantes, et dix qui forment un sous-ensemble éponyme ; certaines sont inédites, d’autres ont fait l’objet de publication dans Territoires de l’inquiétude, diverses revues ou anthologies. Des textes plutôt courts, donc, mais qui sont parfois frappants.

« Les mains au mur  », tout en sobriété sauf dans sa chute, évoque ainsi, dans un cadre tout ce qu’il y a de plus banal et quotidien, les atrocités et les traumatismes que l’on rapporte de la guerre (ou de l’aide à une dictature policière, difficile à préciser). Sur une thématique proche, « Le phénix » s’avère moins réussi, car on ne comprend guère comment ce fils parvient à renouer le fil d’un passé honteux. Quant à « Partir », il parvient à surprendre, sinon à convaincre, autour de la disparition de l’être cher. Le jeu sur les univers parallèles et les temporalités alternatives, déjà au cœur de La Bulle d’éternité, se retrouve dans plusieurs textes, mettant en scène des personnages rêvant d’existences autres, des uchronies personnelles, dans « Le Ponteil  », le troublant « Les voyages déforment la jeunesse  » (sur le choix de la femme de sa vie), tandis que « Poussière » décline l’idée d’un courrier livré avec des décennies de décalage. « La cicatrice », qui voit des personnages de la Révolution française surgir dans le Paris d’aujourd’hui, reste hélas purement gratuit ; quant au « Château » et au « Naufrage », ils semblent aborder le thème des proches décédés, mais d’une manière demeurant pour l’essentiel elliptique. «  La tante d’Amérique » et « Ils étaient trois petits garçons » sont plus ancrés dans l’histoire réelle, celle de la Seconde Guerre mondiale pour le premier, plus touchant, celle des mythes familiaux pour le second. Quant aux « Gardes Rêves », c’est une succession de scènes oniriques, dont la finalité est seulement qu’un homme retrouve son épouse.

A la frontière entre fantastique et fantasmatique, « Bas les pattes », ou le fait divers horrible métaphorisé (« Quel beau dimanche ! » s’en rapproche, en plus complexe) ; « A la carte ou au menu ? » sur le cannibalisme ; « L’homme volant », ou comment l’extraordinaire peut se dissoudre dans le poids du quotidien ; « Désolation », transposition dans un cadre automobile de la mort et de la vie ; « La chambre vieille », mise en image de la succession des générations et de leurs souvenirs, tout comme « La splendeur-Korbus », ou un exemple touchant de ces nostalgies de grand parent définitivement enfouies et disparues. Quelques nouvelles creusent pour leur part le sillon de la mise en abyme, de l’interrogation sur la capacité démiurgique -ou servile- de l’acte d’écrire. « Comme des livres rangés » explore ainsi le chevauchement entre fiction et réel, personnage inventé et personnalité manipulée, tout comme le plus anecdotique « Zéro pour les zozos » ou « Le pont des morts », le mystère et l’espionnage pouvant se dissimuler sous le voile du banal… Parmi les plus beaux textes, il convient de citer « Baisers volés », car derrière un titre tout ce qu’il y a d’anodin, c’est tout un monde qui nous est décrit, celui d’une école dont certains étudiants peuvent emprunter des passages temporels, les amenant en amont ou en aval : comment dire, alors, la difficulté pour deux amoureux de se retrouver dans cet entrelacs d’époques ? De même, « Ma nuit de Walpurgis », par le biais de simples maquillages appliqués lors d’une soirée privée, permet de renouer le contact avec les disparus de notre entourage. «  Anna », classique dans son téléscopage de deux époques, distille un magnétisme certain, tout comme « La chaise vide » et son histoire de jumeau dont les photographies ne peuvent capturer l’image.

Il y a aussi ces textes diaphanes, bribes d’images et de mondes futurs non expliqués, qui s’avèrent généralement moins convaincants, ainsi de cette «  Viviane » veillant sur des survivants en animation suspendue, d’« Etrange étrangère », intrusion d’une femme mythique dans notre réalité, de « Rouge », ébauche sur le thème de la réincarnation, de « Mémoires de guerre », cadre dystopique avec androïdes et livre brûlés sans véritable élucidation, ou de « Sortie interdite », qui ne fait malheureusement que survoler l’idée classique mais passionnante d’une architecture tournée vers l’inconnu, l’exploration. Les Gardes-rêves est en tout cas plus inégal que La Bulle d’éternité, les nouvelles réussies côtoyant celles qui auraient sans doute gagnées à davantage de développements ou d’éclaircissements.


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[1Avec une curiosité : la présence, dans les deux recueils, de la nouvelle « Cassiopée », mais dont la version publiée dans Les Gardes-Rêves est allégée de la dimension extra-terrestre…

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