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Wang

2000, par Maestro

Pierre BORDAGE (1955-)

France, 1996-1997

Atalante

Pierre Bordage fait partie des nouveaux grands de la science-fiction française, au renouveau de laquelle il a d’ailleurs largement contribué. Après sa trilogie des Guerriers du silence, voici Wang, court cycle de science-fiction nettement plus proche de l’anticipation [1]. Au nombre des atouts qui distinguent Bordage, il faut tout d’abord mentionner la fluidité de son style, qui fait que l’on dévore ces livres avec plaisir et intérêt. Nul doute, d’autre part, qu’il soit un amateur de wargames, de par l’importance des considérations stratégiques dans le déroulement de ces deux romans. Ici, le héros est un jeune homme du XXIIIe siècle, Wang, qui habite l’ancienne Russie, et qui, sous l’impulsion de sa grand-mère, sa seule famille, va partir tenter sa chance vers le mystérieux occident...

Très vite, on accroche à l’univers qui est décrit, de par les multiples allusions (y compris anecdotiques) qui sont faites à l’histoire future. Les anticipations sur l’avenir proche sont souvent pertinentes, et témoignent de la multiplicité des thèmes abordés. Parmi ceux-ci, on peut signaler celui du capitalisme et des ravages qu’il provoque, qu’il soit policé en Occident (mais toujours là, sous la forme de La Pieuvre), ou sauvage et débridé chez les sino-russes, avec les néo-triades ; et pour eux deux, le même souci de rentabilité.

Ce faisant, c’est le tiers-monde -devenu le deuxième monde- et son évolution tragique qui est largement traité : la réapparition du cannibalisme, l’Afrique vidée par le SIDA, puis repeuplée par les afro-américains et dans laquelle l’islam fondamentaliste se généralise, etc... ce glissement dans la barbarie et la pauvreté ayant même été consciemment provoqué par l’occident ! Peut-on y voir là un grossissement didactique du mécanisme anti-humaniste de l’impérialisme ? Concrétisation de l’accroissement ahurissant de l’écart entre pays riches et pauvres, le REM, barrière magnétique qui est plus qu’une simple ligne de démarcation sociale, véritable limes entre les barbares et les nouveaux romains. Mais le récit nous apprend progressivement que la barbarie est présente des deux côtés du REM, ce qui pourrait constituer la propre philosophie de l’auteur sur le monde d’aujourd’hui, dont le sien n’est qu’un des devenirs possibles.

En vrac, parmi les autres thèmes des deux romans, on peut également citer la place du sport par le biais des jeux uchroniques (le principe de La guerre olympique de Pierre Pelot n’est pas si loin) ; la perte des relations humaines en occident avec le développement de l’excitation artificielle des sens (les relations sexuelles physiques étant bannies, suite, entre autre, à l’interdiction de l’Église, d’ailleurs) et une indifférence quasiment généralisée à ce qui fait le sel de la vie ; les rivalités entre les puissances occidentales, avec une surprenante prédominance de la France et de sa langue ; le vieillissement accentué de l’occident, malgré le développement considérable du remplacement (et donc du commerce) d’organes, et l’essor subséquent du deuxième monde, qui atteindrait les 15 milliards d’habitants ; les nombreux progrès écologiques réalisés par l’occident, enfin, comme la disparition des voitures remplacées par des aérotrains, par exemple, ce qui empêche de donner une vision trop manichéenne des choses.

Les personnages mis en scène reflètent parfaitement ces évolutions divergentes des deux parties du monde : Wang est solide, apte à la survie, et réceptif aux sentiments, tandis que Fredric le français est obnubilé par les jeux uchroniques et d’une maladresse complète dans les relations humaines. Par ailleurs, l’espoir n’est pas mort, et s’incarne à travers plusieurs vecteurs. L’un d’entre-eux est constitué par le réseau senso-libertaire, héritier de l’internet qui fut finalement interdit au XXIe siècle car jugé supranational ; clandestin par nécessité, ses membres ont également subi des « cyber-mutations », un moyen d’inviter également le cyberpunk à la fête ! Et last but not least, leur souhait le plus cher est de partir dans l’espace, à la recherche de nouveaux mondes... Cet éloge de la révolte contre l’injustice et l’inégalité est parfaitement rendu dans la bouche de Li : « Ce sont ceux qui ont faim, froid et peur qui font évoluer les choses ». Bordage propose même, par l’intermédiaire de son héros, une alternative : « Nous nous battons pour montrer aux peuples de la GNI, de la RPSR et du continent sudam que le modèle occidental n’est qu’un leurre, qu’ils doivent retrouver leurs traditions, leur culture, leur langue, élaborer leur propre système de gouvernement, trouver leur propre équilibre... ». L’esprit révolutionnaire d’Ayerdhal n’est pas si loin...

On peut néanmoins regretter une fin par trop prévisible, que l’on sent venir plusieurs chapitres à l’avance, et qui n’apporte que peu de choses à ce qui avait déjà été traité. Un retournement de situation, lié aux objectifs poursuivis par la Ruche, aurait été le bienvenu. Un belle réussite, néanmoins, pour ce cycle d’une grande richesse.


[1Deux volumes : tome 1 Les portes d’Occident et tome 2 Les aigles d’Orient

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